Commerce extérieur : la France épinglée par la Commission européenne
Retranscription écrite de l'émission du 22 mars "Les idées claires d'Agnès Bénassy Quéré", chronique hebdomadaire sur France Culture le jeudi matin à 7h38.
Par Agnès Bénassy-Quéré
La France s’est récemment fait épingler par la Commission européenne au titre du pacte de stabilité renforcé – appelé aussi six pack. Pour quel délit ? Celui d’avoir perdu beaucoup de parts de marché à l’exportation. Certes il n’y a pas de quoi être fier. Entre 2005 et 2010, les parts de marché françaises ont fondu de 19%, presque autant que la Grèce (20%) et le Royaume-Uni (23%), alors que le nouveau pacte de stabilité nous enjoint de ne pas perdre plus de 6% sur cinq ans. Qui sont les bons élèves ? Eh bien je vais vous surprendre : pour une fois, ce n’est pas l’Allemagne, qui a perdu 8%, mais uniquement le Luxembourg et les nouveaux Etats-membres.
La France a un vrai problème de compétitivité à l’exportation et la Commission européenne a raison de tirer la sonnette d’alarme. Mais le seuil magique de 6% sur cinq ans laisse songeur. Supposons, pour commencer, que les pays européens commercent seulement entre eux. Si les uns gagnent, c’est que les autres perdent. Si mon temps de parole augmente aux Matinales, celui d’Hubert Huertas diminuera, et vice-versa. On ne peut donc en vouloir à la France de perdre 19% sans pointer la Pologne et la Slovaquie qui ont gagné 20 et 33% - mais on ne va pas reprocher à deux pays en rattrapage de progresser. Rajoutons maintenant le reste du monde : par définition, les économies émergentes émergent et grappillent donc des parts de marché. Principe des vases communicants, nos propres parts diminuent. La musique brésilienne s’installe à l’antenne et nos temps de parole à tous s’en trouvent réduits. Mais ce n’est pas forcément inquiétant. Nous pouvons nous satisfaire d’une part plus petite du gâteau si le gâteau grossit, ce qui est le cas avec le commerce mondial. Ce qui est important en Europe, c’est que les pays en retard rattrapent et que ceux qui ont rattrapé ne décrochent pas. Surveiller les parts de marché, pourquoi pas, mais difficile de fixer un seuil identique pour tous.
La crise de la zone euro n’est pas une pure crise de finances publiques et il faut se féliciter que le nouveau pacte de stabilité prenne en compte les grands déséquilibres macréoconomiques et financiers qui ont mené l’Irlande au bord de la faillite. Mais il est ennuyeux que ce nouveau pacte s’appuie sur un seuil fragile relatif à l’évolution des parts de marché à l’exportation. D’autres indicateurs suivis par la Commission européenne posent aussi problème. Ainsi, le taux de change réel moyen par rapport à 36 partenaires ne doit pas varier de plus de 5% à la hausse ou à la baisse sur trois ans. Que l’euro s’envole et les 17 Etats-membres de la zone se retrouveront dans le rouge. Or, que peuvent les Etats-membres contre une hausse de l’euro ? Pas grand-chose. C’est surtout la Banque centrale européenne qui a les moyens d’agir.
Un Etat a les outils réglementaires et fiscaux pour empêcher une bulle immobilière ou calmer l’appétit d’endettement de ses banques. Mais on peut difficilement le blâmer pour un euro trop fort ou trop faible, une Chine trop dynamique ou un prix du pétrole trop élevé. Un peu comme si on reprochait le mauvais temps à un marchand de glaces.