« Made in France » : l'anti-modèle allemand
Les chiffres sont accablants. En trente ans, l’industrie française a perdu environs 2 millions d’emplois. Au rayon des solutions avancées ces derniers mois, deux propositions semblent recueillir un large consensus : la promotion du « made in France » et les exhortations à s’inspirer du modèle allemand.
Par Matthieu Crozet
Les chiffres sont accablants. En trente ans, l’industrie française a perdu environs 2 millions d’emplois. Fin 2011, le taux de chômage avoisine les 10% et le déficit commercial français bat des records. Nul ne remet aujourd’hui en question l’importance du mouvement de désindustrialisation de l’économie française, et la nécessité de s’atteler d’urgence à l’enrayer. Au rayon des solutions avancées ces derniers mois, deux propositions semblent recueillir un large consensus : la promotion du « made in France » et les exhortations à s’inspirer du modèle allemand. Ces deux solutions reflètent un certain bon sens économique ; mais la comparaison s’arrête là. La promotion d’un label de fabrication française repose sur une vision de la compétitivité et une interprétation des enjeux de la mondialisation bien différente de ce qui fait la force du modèle industriel allemand.
La proposition de résolution « visant à développer le ‘’Fabriqué en France’’ », examinée le 2 février 2012 à l’assemblée nationale, propose de mettre en place un label désignant les produits véritablement fabriqués en France. Il s’agit d’informer honnêtement les consommateurs et d’éviter de voir apposées des étiquettes « made in France » sur des produits dont l’essentiel de la valeur ajouté à été réalisée à l’étranger. Il n’y a assurément rien à redire à cela : en matière d’information du consommateur, l’abondance est rarement nuisible. Mais l’initiative vise avant tout à susciter, chez le consommateur français, un réflexe d’achat en faveur des entreprises qui ont fait le choix de ne pas délocaliser une partie de leur chaîne de valeur. Le bien fondé de cette démarche reste à démontrer. Certes, les consommateurs peuvent se montrer solidaires et semblent adhérer volontiers aux vertus économiques du « consommer français ». Une étude du CREDOC a montré qu’ils sont nombreux à se déclarer prêts à payer plus cher des produits fabriqués en France. Mais de l’affirmation à l’acte de consommation, il y a une différence importante : celle des contraintes imposées par le pouvoir d’achat. Et reconnaissons que les expériences passées (notamment la campagne « nos emplettes font nos emplois » de 1993) ont vite tourné court.
Mais au-delà des ses effets sur la consommation, cette démarche a cela d’étonnant qu’elle prend le contre-pied du modèle industriel allemand, dont on cherche par ailleurs à s’inspirer. En effet, l’industrie allemande a pu maintenir sa compétitivité grâce des investissements importants et continus dans les déterminants hors-prix (l’innovation des produits et la qualité) et une maîtrise des coûts de production. Revenons sur ces deux points.
Toutes les enquêtes le montrent, beaucoup de consommateurs considèrent a priori que les produits allemands sont de très bonne qualité. La raison en est simple : c’est généralement vrai. Mais la qualité a un coût, celui d’un investissement massif et continu dans la recherche et l’innovation. Sur ce terrain, la comparaison avec la France est sans appel. En 2010, l’Allemagne a consacré 2,82% de son produit intérieur brut à la recherche et développement, contre seulement 2,26% en France. Et cet écart dans les investissements en R&D n’a cessé de progresser depuis 10 ans. C’est à ce prix que le « made in Germany » est devenue une marque qui séduit les consommateurs du monde entier. Bien sûr, on voit mal comment l’initiative de la promotion du « fabriqué en France » pourrait vraiment être néfaste, mais il ne faut pas qu’elle nous détourne des vrais problèmes, et réduise les incitations à renforcer une image de l’industrie nationale fondée sur une réelle qualité des produits. C’est à ce prix que le label de production national pourra s’adresser à l’envie et la raison des consommateurs du monde entier plutôt qu’à l’effort de solidarité des seuls consommateurs nationaux.
Outre l’investissement dans la compétitivité hors-prix, l’Allemagne a su contenir sa compétitivité prix. Cet effort de modération des prix s’est fait, bien-sûr, grâce à une politique rigoureuse de modération salariale. Mais cet élément, très souvent mis en avant, en masque un autre que l’on oublie souvent : l’industrie allemande a aussi maitrisé ses coûts en faisant appel de façon massive à des sous-traitants implantés dans des pays où la main-d’œuvre est relativement bon marché. En 2000, les importations de biens intermédiaires représentaient 4,5% du PIB français contre 4,9% du PIB allemand. En 2010, cette part est tombée à moins de 4% pour la France alors qu’elle avoisinait les 6% pour l’Allemagne. A l’évidence, les industriels allemands on su, mieux que les autres européens, profiter de la mondialisation et du Marché Unique pour tirer profit des avantages comparatifs des pays à bas salaires, notamment d’Europe centrale[1]. Alors que l’initiative du « fabriqué en France » fait la promotion des entreprises qui ont fait le choix de produire localement, le modèle du « bazar allemand » cherche à exploiter au mieux les opportunités offertes par la mondialisation et pousser la fragmentation internationale des chaines de valeur pour gagner en compétitivité. Entre ces deux modèles, il faudra bien choisir.
La proposition de résolution « visant à développer le ‘’Fabriqué en France’’ », examinée le 2 février 2012 à l’assemblée nationale, propose de mettre en place un label désignant les produits véritablement fabriqués en France. Il s’agit d’informer honnêtement les consommateurs et d’éviter de voir apposées des étiquettes « made in France » sur des produits dont l’essentiel de la valeur ajouté à été réalisée à l’étranger. Il n’y a assurément rien à redire à cela : en matière d’information du consommateur, l’abondance est rarement nuisible. Mais l’initiative vise avant tout à susciter, chez le consommateur français, un réflexe d’achat en faveur des entreprises qui ont fait le choix de ne pas délocaliser une partie de leur chaîne de valeur. Le bien fondé de cette démarche reste à démontrer. Certes, les consommateurs peuvent se montrer solidaires et semblent adhérer volontiers aux vertus économiques du « consommer français ». Une étude du CREDOC a montré qu’ils sont nombreux à se déclarer prêts à payer plus cher des produits fabriqués en France. Mais de l’affirmation à l’acte de consommation, il y a une différence importante : celle des contraintes imposées par le pouvoir d’achat. Et reconnaissons que les expériences passées (notamment la campagne « nos emplettes font nos emplois » de 1993) ont vite tourné court.
Mais au-delà des ses effets sur la consommation, cette démarche a cela d’étonnant qu’elle prend le contre-pied du modèle industriel allemand, dont on cherche par ailleurs à s’inspirer. En effet, l’industrie allemande a pu maintenir sa compétitivité grâce des investissements importants et continus dans les déterminants hors-prix (l’innovation des produits et la qualité) et une maîtrise des coûts de production. Revenons sur ces deux points.
Toutes les enquêtes le montrent, beaucoup de consommateurs considèrent a priori que les produits allemands sont de très bonne qualité. La raison en est simple : c’est généralement vrai. Mais la qualité a un coût, celui d’un investissement massif et continu dans la recherche et l’innovation. Sur ce terrain, la comparaison avec la France est sans appel. En 2010, l’Allemagne a consacré 2,82% de son produit intérieur brut à la recherche et développement, contre seulement 2,26% en France. Et cet écart dans les investissements en R&D n’a cessé de progresser depuis 10 ans. C’est à ce prix que le « made in Germany » est devenue une marque qui séduit les consommateurs du monde entier. Bien sûr, on voit mal comment l’initiative de la promotion du « fabriqué en France » pourrait vraiment être néfaste, mais il ne faut pas qu’elle nous détourne des vrais problèmes, et réduise les incitations à renforcer une image de l’industrie nationale fondée sur une réelle qualité des produits. C’est à ce prix que le label de production national pourra s’adresser à l’envie et la raison des consommateurs du monde entier plutôt qu’à l’effort de solidarité des seuls consommateurs nationaux.
Outre l’investissement dans la compétitivité hors-prix, l’Allemagne a su contenir sa compétitivité prix. Cet effort de modération des prix s’est fait, bien-sûr, grâce à une politique rigoureuse de modération salariale. Mais cet élément, très souvent mis en avant, en masque un autre que l’on oublie souvent : l’industrie allemande a aussi maitrisé ses coûts en faisant appel de façon massive à des sous-traitants implantés dans des pays où la main-d’œuvre est relativement bon marché. En 2000, les importations de biens intermédiaires représentaient 4,5% du PIB français contre 4,9% du PIB allemand. En 2010, cette part est tombée à moins de 4% pour la France alors qu’elle avoisinait les 6% pour l’Allemagne. A l’évidence, les industriels allemands on su, mieux que les autres européens, profiter de la mondialisation et du Marché Unique pour tirer profit des avantages comparatifs des pays à bas salaires, notamment d’Europe centrale[1]. Alors que l’initiative du « fabriqué en France » fait la promotion des entreprises qui ont fait le choix de produire localement, le modèle du « bazar allemand » cherche à exploiter au mieux les opportunités offertes par la mondialisation et pousser la fragmentation internationale des chaines de valeur pour gagner en compétitivité. Entre ces deux modèles, il faudra bien choisir.
[1] De nombreuses analyses détaillées soulignent que le recours massif à l’outsourcing international (c’est-à-dire aux délocalisations) est un élément essentiel de la compétitivité du modèle productif allemand. On verra par exemple, Fontagné et Gaulier (2008), Performances à l’exportation de la France et de l’Allemagne, Rapport du Conseil d’Analyse Economique et Sinn (2005), Die Basar-Ökonomie, Econ eds.