Le blog du CEPII

Zone euro : la déflation n’est pas le sujet

Les indices de prix à la consommation ont fortement ralenti ces dernières années. À 0,8-1 %, l'inflation est nettement en-dessous de l’objectif à moyen terme de la BCE, de 2 %.
Par Natacha Valla
 Billet du 6 mars 2014


De nombreux commentateurs s'accordent à penser que la dynamique d’inflation en zone euro est devenue très préoccupante ; les risques de déflation se seraient accrus et la BCE devrait engager une action préventive plus décisive.

Mais on ne peut parler de déflation en zone euro que si une chute auto-entretenue des prix touche la plupart des produits dans la plupart des pays. Ce n'est pas ce à quoi nous assistons. L'inflation a été ralentie –principalement, mais pas seulement– par une forte décélération de la composante volatile des prix, en particulier des prix de l'énergie.

Certes, les réformes structurelles ont fortement réduit les rigidités nominales à la baisse des salaires, et l'inflation sous-jacente (la mesure de l'inflation qui exclut les prix de l'énergie et alimentaires) a oscillé autour de 1 % depuis quelques années maintenant.

C'est faible, mais il n’y a pas de quoi s’alarmer, surtout dans le contexte actuel de rééquilibrage interne des pays du sud de la zone. La forte baisse des salaires nominaux dans certains pays, parfois jusqu’à 20 %, aurait pu entraîner une chute encore plus brutale de l'inflation !

De plus, rien n’indique actuellement que les consommateurs reportent massivement leurs dépenses dans l’attente de prix plus bas. Les anticipations d'inflation à moyen terme (telles, par exemple, qu’elles se reflètent dans les taux d'intérêt à cinq ans) sont faibles, mais ne manifestent pas de tendance à la baisse.

Finalement, dans le contexte actuel, le point de vue opposé pourrait prévaloir.

Les forces à l’origine de la désinflation de ces dernières années pourraient, en effet, se stabiliser. La reprise économique s’amorce progressivement dans les pays du centre de la zone euro – l’Allemagne caracole, la France semble, poussivement, émerger. Le plus gros de l’ajustement du taux de change réel étant accompli en Espagne et dans les autres pays du Sud, la consommation des ménages pourrait bientôt s’y stabiliser. Enfin, les marchés des matières premières ne devraient pas chuter dans les trimestres à venir – les risques géopolitiques pourraient même les tendre à nouveau.

Au-delà du court terme, deux éléments plus structurels pourraient exercer des pressions à la hausse sur les prix. Le premier est l'investissement du secteur privé. Pendant deux ans – ce qui est exceptionnellement long –, l’investissement privé de la zone euro est resté complètement atone, ce qui signifie une détérioration importante du stock de capital. Si l’amélioration de la conjoncture venait à se confirmer, une contrainte sur les capacités de production pourrait rapidement apparaître. Bien sûr, une « ruée vers l'investissement » pourrait alors se déclencher. Dans les deux cas, les forces déflationnistes ne semblent pas à craindre du côté de l’offre.

Le deuxième facteur a trait au commerce mondial. Au cours de la décennie qui a précédé la crise, le monde occidental a « importé » de la désinflation en achetant des biens et des services à bas prix aux pays émergents. Cette période pourrait bien être révolue.

Déflation ou remontée de l’inflation : en réalité, la question est-elle vraiment centrale pour la BCE ? On peut en douter. Les actions qu’elle doit mener de façon urgente sont très éloignées de la dynamique des prix (situation paradoxale sans doute pour une institution qui tient à conserver comme unique objectif la stabilité des prix). Dans tous les cas (qu’il y ait de l’inflation ou de la déflation), la BCE doit en effet se tenir prête à agir si les marchés souverains étaient de nouveau mis sous pression. Dans tous les cas, le système bancaire doit être remis à niveau pour soutenir le crédit et la croissance. Dans tous les cas, la BCE doit se préparer à mettre en œuvre son programme d’opérations monétaires sur titres (OMT) en cas de besoin. Ce sont des tâches importantes, plus décisives aujourd’hui que de parer les risques d’une éventuelle déflation. 


Cet article a également été publié par Le Monde le 13 mars 2014.

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