L'euro sauvé par son rôle international ?
La publication par la Banque Centrale Européenne de son rapport annuel sur le rôle international de l’euro invite à prendre du champ par rapport à la frénésie collective qui s’est diffusée autour de la question grecque. Que nous enseigne ce nouvel opus ?
Par Natacha Valla
Il met d’abord en perspective la dépréciation fortement commentée de l’euro suite à la mise en œuvre du Quantitative Easing par la BCE. Somme toute, la dépréciation cumulée n’a correspondu, en termes dits nominaux effectifs, « qu’à » 10% sur l’année précédant le mois de mai 2015. Certes, cela n’est pas négligeable, mais un tel ajustement est tout à fait cohérent avec les anticipations des trajectoires relatives des taux d’intérêts de la BCE par rapport aux autres banques centrales, pour peu que l’on prenne aussi en compte les perspectives relatives d’inflation qui en découlent.
Il faut aussi rappeler que cette phase de dépréciation soutenue n’est intervenue après une période pluriannuelle d’appréciation qui a mené la monnaie unique à ses sommets de 2014.
Quoi qu’il en soit, il faut souligner qu’en dépit des turpitudes autour de l’intégrité de la zone euro, la dépréciation de notre devise aura participé à une stabilisation, voire à une amélioration assez générale de son statut international, que ce soit comme monnaie de réserve, comme devise de financement ou encore de facturation.
L’attractivité nouvelle de l’euro comme monnaie de financement ne doit pas surprendre : outre la dépréciation, les taux d’intérêt y sont bas et déclinants. Mais le tableau de chasse est déjà encourageant : le Mexique a ainsi émis dès le mois d’avril pour 1,5 milliards d’euros d’obligations à cent ans à un taux à peine supérieur à 4%, une première mondiale ! Pour être quantitativement anecdotique, cet exemple n’en est pas moins emblématique ; et combiné avec les encours nettement plus significatifs d’émissions obligataires par des grands groupes mondiaux tels que Coca Cola ou Apple – souvent celles de bonne qualité, qui ont bénéficié de spreads très avantageux dans la zone euro -, c’est en plusieurs centaines de milliards que cela se chiffre. La BCE estime que la part de l’euro pour les émissions de dette internationale a augmenté de 9% en glissement annuel, pour atteindre un petit tiers du total.
L’euro pourrait également bénéficier du climat de méfiance autour du dollar du fait des mésaventures de certaines institutions financières liées à l’extraterritorialité du droit américain, qui s’applique à toute transaction de nature financière pour peu qu’elle soit libellée en dollars.
Cependant, dans la grande tectonique des monnaies internationales, l’hégémonie pourrait fort bien passer directement du dollar aux devises émergentes sans passer par la case euro. D’abord, l’intensification du commerce entre les pays émergents eux-mêmes multiplie les circonstances où les parties prenantes n’ont aucun intérêt à utiliser de monnaie tierce pour leurs règlements. Par ailleurs, les banques centrales de pays émergents ont établi un réseau d’accords de swaps entre elles – à commencer par la Chine et la Russie : une plus grande stabilité de ces monnaies pourra ainsi être assurée en toute autonomie.
Autre argument : les émergents ont saisi à bras le corps une problématique qui concerne le monde entier : celle du financement de l’investissement, qui fait si cruellement défaut à l’échelle de la planète. Des sommes colossales seront investies pour promouvoir la croissance à long terme. Il y a fort à parier que l’essentiel des financements qui transiteront par la banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB), par exemple, seront libellés en renminbi.
Last but not least, la Chine a adopté une approche très ciblée mais certainement offensive pour promouvoir le rôle international de sa monnaie, par le biais notamment de plateformes de règlements offshores.
Dans ce contexte, faut-il blâmer la BCE qui s’entête farouchement à ne pas promouvoir l’euro sur la scène internationale ? Certes, il n’y a pas que des bénéfices à avoir une devise de référence. Mais dans le contexte de fragilisation profonde auquel fait face la monnaie unique, le rôle international de l’euro ne sera pas de trop pour le sauver.
ECB (2015), The international role of the euro, July.
Réunion CEPII sur le sujet : Bringing the Euro back into the Light : Capital Markets Union and the International Role of the Euro, le 9 juillet 2015.
Cet article a été publié dans L'Agefi Hebdo le 16 juillet 2015.
Il faut aussi rappeler que cette phase de dépréciation soutenue n’est intervenue après une période pluriannuelle d’appréciation qui a mené la monnaie unique à ses sommets de 2014.
Quoi qu’il en soit, il faut souligner qu’en dépit des turpitudes autour de l’intégrité de la zone euro, la dépréciation de notre devise aura participé à une stabilisation, voire à une amélioration assez générale de son statut international, que ce soit comme monnaie de réserve, comme devise de financement ou encore de facturation.
L’attractivité nouvelle de l’euro comme monnaie de financement ne doit pas surprendre : outre la dépréciation, les taux d’intérêt y sont bas et déclinants. Mais le tableau de chasse est déjà encourageant : le Mexique a ainsi émis dès le mois d’avril pour 1,5 milliards d’euros d’obligations à cent ans à un taux à peine supérieur à 4%, une première mondiale ! Pour être quantitativement anecdotique, cet exemple n’en est pas moins emblématique ; et combiné avec les encours nettement plus significatifs d’émissions obligataires par des grands groupes mondiaux tels que Coca Cola ou Apple – souvent celles de bonne qualité, qui ont bénéficié de spreads très avantageux dans la zone euro -, c’est en plusieurs centaines de milliards que cela se chiffre. La BCE estime que la part de l’euro pour les émissions de dette internationale a augmenté de 9% en glissement annuel, pour atteindre un petit tiers du total.
L’euro pourrait également bénéficier du climat de méfiance autour du dollar du fait des mésaventures de certaines institutions financières liées à l’extraterritorialité du droit américain, qui s’applique à toute transaction de nature financière pour peu qu’elle soit libellée en dollars.
Cependant, dans la grande tectonique des monnaies internationales, l’hégémonie pourrait fort bien passer directement du dollar aux devises émergentes sans passer par la case euro. D’abord, l’intensification du commerce entre les pays émergents eux-mêmes multiplie les circonstances où les parties prenantes n’ont aucun intérêt à utiliser de monnaie tierce pour leurs règlements. Par ailleurs, les banques centrales de pays émergents ont établi un réseau d’accords de swaps entre elles – à commencer par la Chine et la Russie : une plus grande stabilité de ces monnaies pourra ainsi être assurée en toute autonomie.
Autre argument : les émergents ont saisi à bras le corps une problématique qui concerne le monde entier : celle du financement de l’investissement, qui fait si cruellement défaut à l’échelle de la planète. Des sommes colossales seront investies pour promouvoir la croissance à long terme. Il y a fort à parier que l’essentiel des financements qui transiteront par la banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB), par exemple, seront libellés en renminbi.
Last but not least, la Chine a adopté une approche très ciblée mais certainement offensive pour promouvoir le rôle international de sa monnaie, par le biais notamment de plateformes de règlements offshores.
Dans ce contexte, faut-il blâmer la BCE qui s’entête farouchement à ne pas promouvoir l’euro sur la scène internationale ? Certes, il n’y a pas que des bénéfices à avoir une devise de référence. Mais dans le contexte de fragilisation profonde auquel fait face la monnaie unique, le rôle international de l’euro ne sera pas de trop pour le sauver.
ECB (2015), The international role of the euro, July.
Réunion CEPII sur le sujet : Bringing the Euro back into the Light : Capital Markets Union and the International Role of the Euro, le 9 juillet 2015.
Cet article a été publié dans L'Agefi Hebdo le 16 juillet 2015.