Le blog du CEPII

Le Brexit peut mener à une situation chaotique

À l'approche d'un Brexit sans accord, la situation devient périlleuse pour un bon nombre de PME françaises exportatrices. L'aéronautique, l'automobile, et l'agriculture pourraient être les secteurs les plus touchés. Ce billet reprend un interview à la Tribune fait le 6/2/2019.
Par Sébastien Jean
 Billet du 15 avril 2019


Quels sont les principaux facteurs qui peuvent expliquer cette relative inertie des exportations françaises ?

Il y a eu une dégradation nette et assez profonde des performances commerciales de la France dans les dix années qui ont précédé la crise. Il y a eu également une détérioration du solde de la balance courante, c'est-à-dire le solde du commerce de biens et services, des revenus d'investissement et des transferts. Derrière cela, il y une dégradation marquée des performances à l'exportation. Cette dégradation s'est stabilisée depuis 2011 mais la France n'a pas réussi à redresser ses performances. C'est un point sur lequel on s'interroge dans la mesure où plusieurs politiques visant à restaurer la compétitivité de la France, comme le CICE ou la modération salariale, ont été mises en oeuvre.

Ce que nous montrons, c'est que l'on n'observe pas de redressement. On n'observe pas non plus d'aggravation des déséquilibres. Pourquoi ? La raison fondamentale est que le rééquilibrage macroéconomique en zone euro est resté très limité. Il y a eu un rééquilibrage du coût du travail en France par rapport à l'Allemagne. Mais même par rapport à l'Allemagne, le différentiel a été relativement limité. Par ailleurs, le coût du travail a augmenté moins vite sur les bas salaires. Or, les entreprises exportatrices françaises emploient peu de main d'oeuvre à bas salaire et peu qualifiée. Cette modération sur le bas de la pyramide des salaires a donc eu peu de répercussions sur la compétitivité.

La baisse de la production industrielle a-t-elle joué un rôle ?

La baisse de la production industrielle en France crée des freins et une inertie dans l'ajustement, mais les évolutions récentes indiquent que ce n'est pas le principal frein. L'Espagne, qui avait subi un choc plus négatif, a réussi à redresser ses exportations. Certes, il y a un problème de perte de substance industrielle, mais ce n'est pas une fatalité. Ce ne sont pas les baisses précédentes qui empêchent l'industrie française de regagner des parts de marché.

Beaucoup d'observateurs parlent de qualité des produits et de compétitivité hors-prix. Dans notre étude, nous montrons qu'il n'y a pas de mécanisme très bien établi. Les critiques à l'égard du déficit d'investissement ne sont pas toujours fondées. L'analyse en détail montre qu'il y a un taux d'investissement relativement faible en ce qui concerne les machines et équipements, mais surtout du fait de la faiblesse de la production industrielle elle-même. En revanche, il n'y a pas de faiblesse de l'investissement intangible. En termes de recherche et développement, l'effort est certes un peu plus faible qu'en Allemagne, et il stagne chez nous alors qu'il augmente outre-Rhin. Mais il est nettement supérieur à celui de l'Italie ou de l'Espagne.

Nous avons quelques entreprises puissantes en France qui ont massivement investi à l'étranger. C'est un choix d'internationalisation qui a notamment eu pour conséquences de moindres exportations mais l'économie tricolore a tiré plus de revenus issus d'investissements. C'est notamment ce qui explique que la France affiche une balance commerciale déficitaire mais une balance courante presque à l'équilibre. De ce point vue, la France a plutôt un souci de désindustrialisation. Ce qui pose des problèmes d'attractivité de la France en tant que site de production.

Quels ont été les secteurs les plus touchés par la baisse des exportations ces 20 dernières années ?

L'évolution des parts de marché à l'export indique une baisse partagée par une grande majorité des secteurs. Les exceptions les plus notables sont l'aéronautique et le luxe. Le luxe est un fer de lance du commerce extérieur français. Au sein de l'agriculture, la France s'est orientée principalement dans les vins et spiritueux, les produits laitiers et les céréales. En dehors de ces grands secteurs, il y a une baisse des parts de marché à l'exportation. Ces évolutions reflètent une spécialisation croissante sur nos secteurs d'excellence, c'est-à-dire l'aéronautique, le luxe et l'agroalimentaire, dans un contexte de dégradation de la compétitivité française.

La crise de 2008 a-t-elle contribué à creuser l'écart avec l'Allemagne ?

L'écart avec l'Allemagne, et la moindre performance française par rapport à l'Espagne par exemple, ont commencé avant la crise. Cette différence s'est particulièrement accentuée entre 2003 et 2008. La crise a en revanche précipité la baisse de la production industrielle en France, provoquant un grand nombre de faillites et de fermetures de sites de production, qui n'ont pas été rouverts ensuite.

La politique de baisse du coût du travail a-t-elle eu un impact favorable sur les exportations françaises ?

Au niveau macroéconomique, l'effet n'a pas été évident, pour deux raisons principales. D'une part, les rééquilibrages n'ont pas été importants au regard des déséquilibres observés précédemment. D'autre part, les dispositifs ont porté prioritairement sur les bas salaires, qui ne comptent pas beaucoup dans la structure de coût des entreprises exportatrices. L'impact a été moins direct sur les exportations que sur l'emploi.

Quelles pourraient être les répercussions du Brexit sur le commerce extérieur français ?

Le Royaume-Uni est un partenaire important et un Brexit sans accord serait potentiellement très perturbant. Les premières répercussions devraient se faire ressentir dans la désorganisation des flux, parce que la sortie brutale du marché unique va nécessiter la mise en place soudaine de contrôles douaniers sur des flux très importants. À court terme, le risque est que le manque de maîtrise de ce processus amène à une situation parfois chaotique, même si l'on peut présumer que les autorités concernées pourront dans un premier temps se contenter d'une application souple des règles. À moyen terme, c'est l'allongement des délais, l'augmentation des coûts administratifs et de mise en conformité, et les taxes douanières qui poseront problème.

Au niveau macroéconomique, si le Brexit a un impact négatif au Royaume-Uni, cela pourrait avoir des répercussions sur la demande, surtout si le taux de change de la Livre est touché. La solvabilité des clients pourrait être affectée. Les compatibilités des réglementations, et les mesures sanitaires et réglementaires pourraient également avoir des répercussions sur les échanges, en particulier dans l'agroalimentaire ou la pharmacie, par exemple. Les secteurs les plus directement touchés seraient ceux ayant des chaînes d'approvisionnement complexes et réparties entre le Royaume-Uni et le continent, comme l'aéronautique ou l'automobile. L'agriculture pourrait également être touchée, il s'agit d'un secteur sensible pour la France dans ce contexte, notamment s'agissant des produits laitiers (fromages notamment), de l'élevage, du vin et des préparations alimentaires.

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