Le blog du CEPII

Les non-dits du discours « anti-euro »

A l’approche des élections européennes de mai 2014, la sortie de l’euro est parfois présentée comme un remède miracle.
Par Natacha Valla
 Billet du 5 mai 2014


L’argumentaire est bien affûté. Et prima faciae, il peut sembler imparable : la monnaie unique serait à l’origine des déboires économiques que traversent les pays de la zone euro depuis 2008 – crise, chômage, menaces sur leur modèle social, absence de débouchés, sentiment de trahison démocratique. Mais ils sont trompeurs. Du moins, leurs arguments économiques sont fallacieux.

Tout d’abord, sur l’euro fort. Une sortie de l’euro n’aurait d’intérêt que si la parité nominale de la nouvelle monnaie était dévaluée. Une telle dévaluation – selon leur argument - redresserait la compétitivité prix, créerait des emplois et de la croissance. Il n’en est rien.

Le contexte actuel est caractérisé par un endettement élevé des Etats, des entreprises et des ménages. Une devise fortement dévaluée serait véritablement catastrophique pour ces agents. Libellée en euros, la valeur de leur dette en monnaie locale affaiblie s’envolerait mécaniquement dans la seconde même où l’euro serait abandonné. Ce que le pays gagnerait d’une main, hypothétiquement, et à plus long terme, en exportations et en emplois, il le perdrait illico via un violent coup d’assommoir sur leur capacité à rembourser leurs dettes. L’épargne subirait d’ailleurs également une érosion massive : attention alors à la ruée des épargnants aux guichets des banques pour mettre leurs économies en sécurité sous forme de billets en euros, voire en dollars.

Par ailleurs, l’économie subirait une augmentation instantanée des prix des importations consécutive à la dévaluation. Cette augmentation frapperait de plein fouet le pouvoir d’achat des ménages.

En somme, non seulement une sortie de l’euro ne résoudrait pas nos problèmes et n’améliorerait en rien notre quotidien. Elle aurait pour conséquence des crises multiples : une crise de la dette publique et privée.  Une crise bancaire avec ruées aux guichets. Une crise de changes. Une guerre des monnaies.

Les solutions avancées pour parer ces réactions – contrôle prolongé des changes et des capitaux pour éviter les attaques spéculatives, accords de coopération monétaire pour empêcher la guerre des monnaies, mise en avant des lex monetae, renégociation de la devise dans laquelle sont libellés les contrats de dette, autrement dit « faire défaut » - sont vouées à l’échec. Ce sont des recettes infaillibles pour un parfait isolement économique et financier du pays. L’Argentine a testé cette stratégie il y a quinze ans, elle n’a pas fini d’en subir les conséquences : après dix années de crise, une répudiation de dette, et des tentatives infructueuses de médiation, le pays reste aujourd’hui la proie de fonds vautours et autres spéculateurs, alors qu’il effraie les investisseurs honnêtes. Aucun pays de la zone euro ne peut souhaiter un tel sort.

Aussi, ne cherchons pas à faire l’histoire en défaisant ce qui existe. L’euro a de grandes faiblesses, mais c’est aussi une formidable opportunité. Son enjeu n’est pas seulement économique. Il est en réalité politique, historique et un enjeu de civilisation. Gardons notre sang-froid : nous sommes peuples de l’Europe depuis des siècles. Citoyens de l’Union depuis quelques humbles décennies. Mais utilisateurs de l’euro seulement depuis une maigre poignée d’années. Laissons-lui donc le temps qu’il faut. Ne sous-estimons pas les vertus de cette monnaie commune. L’euro-monnaie est une institution qui peut creuser, un temps, le sillon européen. Comme le dit Habermas, c’est sur l’euro que se joue le sort de l’Europe des peuples.
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