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Restructuration des dettes souveraines : les autres solutions

La mise en œuvre d’un mécanisme multilatéral quasi-juridictionnel de restructuration des dettes souveraines que l’ONU appelle de ses vœux, est illusoire. Néanmoins, des avancées pourraient être réalisés dans différentes voies : amélioration des clauses contractuelles des émissions obligataires ; introduction de nouvelles clauses de reprofilage automatique des dettes ; utilisation des financements internationaux comme levier.
Par Christophe Destais
 Billet du 24 septembre 2015


En un an, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté trois résolutions visant à créer un « cadre multilatéral » applicable à la restructuration des dettes souveraines :
  • le 10 septembre 2014, elle a décidé « d’élaborer […] un cadre juridique multilatéral applicable aux opérations de restructuration de la dette souveraine » (résolution 68/304) ;
  • le 29 décembre 2014, elle a créé un comité spécial pour élaborer ce cadre juridique (résolution 69/247) ;
  • le 10 septembre 2015, elle a défini les « principes fondamentaux qui doivent guider les opérations de restructuration de la dette souveraine ». Il est notamment précisé que « tout État a le droit, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, d’élaborer sa politique macroéconomique, et notamment de restructurer sa dette souveraine, droit dont nulle mesure abusive ne saurait empêcher ou gêner l’exercice. La restructuration doit être un dernier recours et préserver d’emblée les droits des créanciers. » (résolution 69/319).

Ces résolutions, non contraignantes, ont été présentées par l’Afrique du Sud et la Chine. L’Afrique du Sud agissait au nom du Groupe des 77, une coalition de pays en développement visant à promouvoir les intérêts économiques et politiques collectifs de ses membres et à leur donner une plus grande capacité de négociation au sein des Nations unies. Le Groupe des 77 compte actuellement 134 pays sur les 193 votants à l’ONU. Le 7 septembre, un collectif d’économistes avait lancé un appel aux pays européens pour qu’ils votent en faveur de la dernière résolution dans le quotidien britannique The Guardian. Cet appel, repris en France par Le Monde, n’a pas été suivi. L’Allemagne et le Royaume-Uni ont voté contre, les autres Européens se sont abstenus.

Ces initiatives font suite au rejet, en 2003, d’un projet initié l’année précédente par le FMI, en pleine crise de la dette argentine suite au défaut de 2001. La proposition du Fondsde Sovereign Debt Restructuring Mechanism (SDRM), inspirée des procédures de faillite privée, s’est à l’époque heurtée à l’impossibilité d’imposer à des États souverains des mesures d’exécution (saisine des actifs), au moins sur leur territoire national, et à la réticence politique à créer un nouveau mécanisme international.

Si la crise de l’euro a suscité un renouveau du débat sur le cadre international de la restructuration des dettes souveraines, les initiatives récentes ont surtout été impulsées par les décisions devenues définitives en 2014 de la Justice américaine concernant les remboursements de la dette argentine. À la demande de fonds vautour, le juge Griesa a bloqué les versements de l’Argentine aux créanciers –détenteurs de 92 % des créances – qui avaient accepté une restructuration drastique de la dette tant que ne seraient pas remboursés, aux conditions initiales, les créanciers qui l’avaient refusée. Cette décision est considérée, par la plupart des observateurs, comme une interprétation abusive de la clause de traitement équitable (pari passu) des créanciers dans les contrats de prêt.

Néanmoins, la voie choisie par les pays en développement à l’ONU est ambigüe. D’une part, le choix de l’enceinte et la multiplication des résolutions tend à politiser un débat dont la dimension technique est complexe ; dans le même temps, ce choix exprime le fait que ces pays ne se sentent pas entendus au FMI. D’autre part, les termes mêmes employés par les résolutions prêtent le flan à des interprétations et des controverses, en particulier le « droit » reconnu à chaque État de restructurer sa dette. Enfin, cette démarche est « systémique » comme l’était celle du FMI en 2002-2003 et qui lui a valu d’échouer.

Elle néglige d’autres voies possibles qui, à défaut d’apporter une réponse globale et définitive au problème, pourraient améliorer la situation.

La première voie consiste à introduire des « clauses d’action collectives (CAC) » dans les contrats qui sont le support des émissions obligataires internationales. Ces clauses existaient pour les dettes privées depuis le XIXème siècle dans le droit anglais, mais elles étaient ignorées du droit américain et en particulier de la loi de l’État de New York, sous le régime duquel ont lieu l’essentiel des émissions en dollars des pays en développement. Cependant, dès 2003, après l’échec de la proposition de SDRM, des CAC définissant notamment les règles de majorité qualifiée applicables en cas de restructuration, ont été introduites dans des émissions souveraines des pays émergents. Bradley et Gulati (2014) estiment que ces clauses concernent désormais 90% des émissions souveraines relevant de la loi de l’État de New York ; selon la même étude, l’introduction de CAC n’a pas d’impact sur les coûts d’emprunts. Le traité de 2012 qui créée le Mécanisme de Stabilité Européen a rendu obligatoire l’introduction de CAC dans les émissions obligataires souveraines de la zone euro.

Par pragmatisme sans doute plus que par conviction, le FMI a renoncé à son projet ambitieux de 2002. Dans un rapport publié en mai 2014, il prône le renforcement du cadre contractuel des émissions obligataires : modification des clauses pari passu pour empêcher une répétition du scénario argentin et introduction de CAC plus rigoureuses. En août 2014, l’International Capital Markets Association (ICMA) a publié, avec le soutien du Fonds, une nouvelle clause pari passu type, qui répond aux critères définis par le FMI, et une version révisée de ses CAC standard pour les obligations souveraines. Les changements qui résulteront de cette initiative risquent toutefois d’être “partiaux et fragmentés” dans la mesure où les expériences passées suggèrent que si les marchés s’inspirent des clauses standard de l’ICMA, ils ne les transposent que rarement de manière littérale (Gelpern 2014). Par ailleurs, ces clauses n’étant pas rétroactives, il faudra des années, voire des décennies, pour que le stock de dettes souveraines soit affecté par ces changements.

Une troisième voie qui apparaît prometteuse consisterait à introduire certaines modalités de restructuration des dettes souveraines dans le contrat initial. Cette idée avait été mise en œuvre dans l’accord de restructuration de la dette allemande de 1953 : les paiements étaient conditionnés au fait que l’Allemagne dégage un excédent commercial et limités à 3% des recettes d’exportation ; il était prévu qu’une partie des montants ne serait due qu’après la réunification – hypothétique à l’époque – ou après le rattachement à l’Allemagne de territoires prussiens (aujourd’hui en Pologne et en Russie). Soumettre le remboursement de la dette à certaines conditions n’est possible que si ces dernières sont formulées de manière précise et que leur éventuelle réalisation est aisément vérifiable. À ce jour, cette idée n’a pas connu d’application lors d’émissions initiales, mais certains de ses principes ont été mis en œuvre, sous forme de warrants associés aux nouvelles obligations, dans le cadre des restructurations des dettes grecque et argentine. Elle est préconisée dans une étude commune à la Banque d’Angleterre et de la Banque du Canada (Brooke et al. 2013) et sa possible application a été évoquée pour la dette grecque.

Une quatrième voie consisterait à utiliser les financements internationaux, notamment ceux du FMI, comme un levier : une restructuration des dettes détenues par des investisseurs privés serait exigée préalablement à la mobilisation de financements internationaux. Le processus en cours en Ukraine suit cette voie. Néanmoins, ce levier n’est pas universel. Il ne concerne pas les dettes internes et les capacités financières du FMI ou des autres schémas de financement internationaux ou régionaux sont limitées.

Références :

Bradley (Michael) and Mitu Gulati “Collective Action Clauses for the Eurozone” Review of Finance, Volume 18 Issue 6 October 2014, Oxford University Press

Brooke, Martin, Rhys Mendes, Alex Pienkowski and Eric Santor. 2013. “Sovereign Default and StateContingent Debt.” Bank of Canada Discussion Paper 2013-3.

Gelpern (Anna) “A Sensible Step to Mitigate Sovereign Bond Dysfunction”, RealTime Economic Issues Watch, The Peterson Institute for International Economics, August 29th, 2014
Monnaie & Finance 
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