Le Brésil, l’un des pays les plus inégalitaires au monde, a connu, pendant vingt ans de dictature militaire (1964-1985), des taux de croissance très élevés sans que les inégalités se réduisent. Ses dirigeants avaient coutume de dire qu’il fallait laisser grossir le gâteau pour mieux le partager plus tard. Mais ce « plus tard » était sans cesse repoussé. En 2002, Luiz Inácio Lula da Silva, un ancien ouvrier métallo pugnace, remporte l’élection présidentielle. Lors de sa première interview présidentielle, il déclare : « L’espoir a vaincu la peur », le peuple a voté « sans avoir peur d’être heureux ». Lula fait naître alors un immense espoir, surtout chez les plus démunis. Ses électeurs attendent de lui qu’il lutte contre la pauvreté, réduise les inégalités et que le gouvernement soit enfin intègre : en somme, que le peuple ne soit plus volé. Lorsque, au terme de son second mandat en 2010, Lula quitte le pouvoir, avec une cote de popularité qui dépasse les 85 %, il laisse un pays moins inégalitaire et moins pauvre. Selon le secrétariat des Affaires stratégiques (Secretaria de Assuntos Estratégicos), 19,3 millions de personnes sont sorties de la pauvreté entre 2004 et 2010 tandis que la classe moyenne s’est élargie à 32 millions de nouveaux venus avec un revenu mensuel supérieur à 330 euros.
Six ans plus tard, le pays est plongé dans une profonde récession économique qui met en péril les acquis sociaux. Dilma Rousseff, qui a succédé à Lula, est suspendue de ses fonctions présidentielles au terme d’un procès en destitution, tandis que Lula lui-même est sous la menace d’un mandat d’arrêt pour corruption. Que s’est-il passé ? D’aucuns prétendent que, lasse de devoir partager les salons d’aéroport avec la nouvelle classe moyenne, l’élite brésilienne aurait décidé de prendre les choses en main. Elle aurait orchestré un coup d’État pour revenir à l’ordre ancien, avec des politiques moins sociales et plus favorables aux entreprises. Si l’on ne saurait exclure la préférence d’une partie de l’ancienne élite pour des aéroports moins encombrés, les conflits de classes ne nous semblent pas être le principal facteur de la crise économique et politique qui secoue le pays. La récession actuelle ne tient pas non plus à l’accroissement des dépenses sociales, ni aux chocs externes (baisse du prix des matières premières, politique monétaire américaine…) qui ont également affecté d’autres pays émergents sans les plonger dans une crise aussi profonde que celle du Brésil, mais à des politiques économiques inappropriées : l’objectif de stabilité macroéconomique a été abandonné ; la priorité a été donnée à la croissance et d’importants transferts de ressources ont été effectués au profit d’une clientèle ciblée d’entrepreneurs dans le but de renforcer la compétitivité industrielle, mais au prix de distorsions profondes dans l’appareil productif. [...]
Six ans plus tard, le pays est plongé dans une profonde récession économique qui met en péril les acquis sociaux. Dilma Rousseff, qui a succédé à Lula, est suspendue de ses fonctions présidentielles au terme d’un procès en destitution, tandis que Lula lui-même est sous la menace d’un mandat d’arrêt pour corruption. Que s’est-il passé ? D’aucuns prétendent que, lasse de devoir partager les salons d’aéroport avec la nouvelle classe moyenne, l’élite brésilienne aurait décidé de prendre les choses en main. Elle aurait orchestré un coup d’État pour revenir à l’ordre ancien, avec des politiques moins sociales et plus favorables aux entreprises. Si l’on ne saurait exclure la préférence d’une partie de l’ancienne élite pour des aéroports moins encombrés, les conflits de classes ne nous semblent pas être le principal facteur de la crise économique et politique qui secoue le pays. La récession actuelle ne tient pas non plus à l’accroissement des dépenses sociales, ni aux chocs externes (baisse du prix des matières premières, politique monétaire américaine…) qui ont également affecté d’autres pays émergents sans les plonger dans une crise aussi profonde que celle du Brésil, mais à des politiques économiques inappropriées : l’objectif de stabilité macroéconomique a été abandonné ; la priorité a été donnée à la croissance et d’importants transferts de ressources ont été effectués au profit d’une clientèle ciblée d’entrepreneurs dans le but de renforcer la compétitivité industrielle, mais au prix de distorsions profondes dans l’appareil productif. [...]
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