Les banques centrales au défi de l'après-crise
Jézabel Couppey-Soubeyran
Jézabel Couppey-Soubeyran
Le métier de banquier central n’était pas facile avant la crise. Il le sera sans doute encore moins après. Dans la plupart des pays du monde, on attendait d’un banquier central qu’il lutte contre l’inflation sans casser la croissance. La règle de Taylor formalisait ce subtil arbitrage et, une fois n’est pas coutume, la pratique collait presque à la théorie. Pendant un temps, celui de la « grande modération » (inflation basse, croissance stable), on a même cru que les banquiers centraux étaient passés maîtres en la matière. C’était ignorer qu’ils n’étaient pas les seuls artisans de cette grande modération. La mondialisation et la montée en puissance des grands émergents avaient, au cours de cette période, largement contribué à stabiliser l’inflation mondiale. C’était aussi sans compter sur l’appétit pour le risque que produirait cet environnement trop tranquille : les taux maintenus trop bas trop longtemps ont favorisé la prise de risque des investisseurs et tout particulièrement celle des banques.
La crise a ainsi jeté le trouble sur l’efficacité des politiques monétaires menées par les économies avancées au cours des années 2000. Rétrospectivement, et même si la controverse reste intense aux États-Unis [Bernanke, 2010], celles-ci sont apparues beaucoup trop accommodantes et de moins en moins fidèles à la règle de Taylor. Il n’est pas inutile, à cet endroit, de se remémorer les commentaires que suscitait l’action de la BCE au milieu des années 2000. Celle-ci était jugée trop sévère, trop restrictive, et beaucoup d’observateurs l’enjoignaient de s’inspirer du pragmatisme de sa consœur américaine la Fed. Ce pragmatisme, vanté hier, est aujourd’hui perçu comme du laxisme. Les banques centrales n’ont pas tenu compte des effets de leur politique monétaire sur la stabilité financière, convaincues que lutter contre les bulles n’était pas de leur ressort et qu’il leur serait possible d’éteindre les incendies après coup. Cela vaut pour la Fed mais aussi pour la BCE : sa rigueur, s’il en était, n’était en rien motivée par la préservation de la stabilité financière.
La gestion de la crise a brutalement étendu les missions des banques centrales à la prise en compte de la stabilité financière. Les banques centrales ont dû endosser leur rôle de prêteur en dernier ressort, restaurer la liquidité des marchés interbancaires, ranimer les marchés de titres en déployant une panoplie d’interventions de politique monétaire non conventionnelle. Dans l’après-crise, il s’agira de pérenniser cette attention à la stabilité financière par des instruments appropriés (bien plus les instruments macroprudentiels que le taux d’intérêt), sans abandonner l’objectif de stabilité monétaire, ni celui de la régulation conjoncturelle. Dur métier donc que celui de banquier central ! En quelque sorte, un chasseur de lièvres qui, plus que jamais, devra s’armer de plusieurs fusils.
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