« L’Allemagne a connu trois défauts sur ses dettes et trois mutations monétaires à la suite de la guerre 1914-1918 »
Le 9 novembre 1918, l’empereur Guillaume II s’enfuit, laissant l’Allemagne face à une extrême gauche révolutionnaire… et à deux dettes colossales. L’une, domestique, correspond au financement de la guerre et dépasse 170 % du produit intérieur brut (PIB). L’autre, internationale, est libellée en marks-or : elle correspond à la réparation des dommages de guerre subis par les Alliés. Le total dépasse nettement 300 % du PIB, ce qui n’est pas soutenable.
Très vite, les Anglo-Saxons en ont conscience et veulent négocier une réduction de la dette extérieure. L’Allemagne, espérant jouer sur les désaccords entre Alliés, choisit de faire défaut, ce qui entraîne l’occupation militaire franco-belge de la Ruhr de janvier 1923 à août 1925. Alors que l’inflation est déjà forte, le gouvernement allemand décide de répondre aux conséquences économiques de cette occupation par l’émission massive de papier-monnaie, débouchant sur une hyperinflation. Celle-ci annule de fait la dette domestique, mais ruine les rentiers, tandis que le mark est remplacé par le rentenmark et le reichsmark (double système).
Finances sous tutelle
Mais le paiement des réparations en marks-or n’est pas concerné. Washington mandate des banquiers américains pour convaincre les Alliés d’en réduire la charge, mais de s’assurer que Berlin aura les moyens de les payer. Pour cela, ils exigent de mettre les finances publiques allemandes sous tutelle et de réserver une partie des recettes au service de la dette. En échange, les ex-belligérants bénéficieront de prêts financiers privés garantis par l’Etat américain (plan Dawes). La France, d’abord très opposée, se trouve alors au bord du défaut de paiement : elle doit accepter en 1924, et évacue la Ruhr.
L’Allemagne en subit les conséquences de plein fouet, car ce sont principalement les investisseurs américains qui, bénéficiant d’une garantie de Washington, se sont substitués aux épargnants allemands ruinés. Le krach d’octobre 1929 provoque le retrait brutal des investisseurs américains, qui recherchent à tout prix des liquidités.
Nouvelle monnaie
Berlin choisit alors de mener une politique d’austérité qui aggrave la récession et débouche sur une baisse de 33 % de la production manufacturière entre 1928 et 1932 et sur l’explosion du chômage (près de 6 millions de chômeurs), largement responsable de l’arrivée au pouvoir des nazis en janvier 1933. Ceux-ci répudient la dette extérieure et créent une sorte de monnaie parallèle au reichsmark, émise par une société fictive, la MEFO (Metallurgische Forschungsgesellschaft), fondée par Krupp et Siemens. Les bons MEFO sont des obligations d’entreprises que les banques, les assurances et les municipalités sont contraintes d’acheter et que les entreprises peuvent échanger contre des reichmarks afin de financer le réarmement. Pour éviter de relancer l’inflation, la consommation des ménages est strictement rationnée et les excédents de revenus remis en dépôt aux banques. A l’international, les importations non indispensables sont réduites au minimum et si possible payées en reichsmarks, dont la valeur est faible, ou sinon par le troc.
La quête de charbon et de fer, indispensables au réarmement, n’est pas étrangère à la conquête des pays voisins (la Pologne et la Belgique sont riches de ces matériaux) et au déclenchement de la seconde guerre mondiale. Pour remplacer les millions de soldats mobilisés et faire tourner les usines du Reich, les nazis organisent la déportation en Allemagne de 12,5 millions de travailleurs venant des pays conquis, nourris avec des rations de survie, sans compter le développement à grande échelle du travail forcé dans les camps de concentration et d’extermination.
Michel Fouquin est économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) et auteur de « Dettes publiques à long terme et souveraineté nationale »
Cet article est initialement paru sur "Le Monde". Le consulter.