Nouvelle mondialisation : « Aujourd’hui, l’enjeu est de ne pas rater la révolution induite par la transition écologique et l’intelligence artificielle »
L’après-crise financière a certes vu l’hypermondialisation s’interrompre ; la crise sanitaire a révélé au grand jour les vulnérabilités que les dépendances occasionnent ; et la guerre en Ukraine a mis fin à la croyance que le commerce soutenait la paix. Mais il y a un an encore, on pouvait se demander ce que toutes ces prises de conscience allaient donner.
Certes, il était clair que l’on était dans un nouveau moment de la mondialisation : celui où le « consensus de Washington », qui privilégiait privatisations, libéralisations, moins d’Etat, vacillait. Et que l’ordre des priorités était en train de changer, l’ouverture n’étant plus considérée comme une fin en soi.
L’ancien monde a déçu
Mais pour que cela se concrétise, il fallait une volonté politique. Et c’est bien la poursuite du mouvement impulsé sous Donald Trump, amplifié et structuré sous Joe Biden, qui fait que les crises, qui ont émaillé la mondialisation ces dernières années, se traduisent désormais par un véritable changement de cap, qui vient mettre un terme à quatre décennies où l’idée s’était imposée qu’il n’y avait pas d’alternative à une libéralisation toujours plus poussée des flux commerciaux et financiers.
Aucune ambiguïté sur le constat, ni sur la direction. L’ancien monde a déçu, avec son lot d’emplois détruits, de pans de l’industrie qui ont disparu et de technologies d’avenir qui se sont développées en dehors des frontières jusqu’à venir menacer la sécurité nationale dans un monde où la militarisation du commerce se déploie. Dans ce contexte, plus question, pour faire face aux défis à relever, de s’en remettre aux anciennes recettes.
Priorité est donnée à la politique industrielle, pour retrouver un leadership dans les industries d’avenir, sauver le climat et retrouver la confiance de la classe moyenne. Alexander Hamilton, premier secrétaire au Trésor des Etats-Unis (1789-1795) et partisan de la protection des industries naissantes, a détrôné David Ricardo (1772-1823), le père des avantages comparatifs et figure de proue des libres-échangistes.
Une forte intervention de l’Etat
Alors, quelle chance cette nouvelle approche a-t-elle de parvenir à ses fins ? Si les échecs des politiques industrielles sont légion, aucun pays riche ne s’est industrialisé sans que l’Etat intervienne. Politiques de protection des industries naissantes et révolutions industrielles sont d’ailleurs allées de pair. C’est ce que le Royaume-Uni, berceau de la première révolution industrielle, a pratiqué au XIXe siècle, les Etats-Unis, l’Allemagne et la France, lors de la deuxième révolution industrielle au tournant du XXe siècle, ou le Japon pour entrer dans le club des pays avancés dans la seconde moitié du XXe siècle. Tous sont passés par une phase de protection et de soutien de leurs industries et une forte intervention de l’Etat.
Même chose aux Etats-Unis à la suite de la guerre de Sécession (1861-1865) : l’industrie américaine se renforce à l’abri du tarif McKinley (1890) pour être capable de tirer parti de la deuxième révolution industrielle. Et ce n’est véritablement qu’après la seconde guerre mondiale, alors que l’industrie européenne est décimée et que la leur est en position de force, que les Etats-Unis s’engagent véritablement dans la défense de la libéralisation.
Eviter la capture par le secteur privé
Idem pour les success storys asiatiques, Japon, Corée du Sud, et plus récemment Chine, pour ne citer que ceux-là : l’insertion internationale des secteurs où ces pays disposaient d’un avantage comparatif procuré par leur main-d’œuvre bon marché s’est conjuguée avec la protection des industries jugées stratégiques, pour leur permettre ne pas rester enfermés dans des spécialisations de pays en développement et d’être aujourd’hui dans la course pour la nouvelle révolution industrielle.
Bien entendu, les révolutions industrielles résultent de nombreux facteurs, au premier rang desquels le progrès technique. Mais pour construire les tissus industriels que ce progrès rend possible, force est de constater que l’intervention de l’Etat, pour soutenir le secteur privé et définir les secteurs à stimuler, est indispensable.
Certes, cette intervention doit être limitée dans le temps et ses objectifs doivent être très précis et régulièrement évalués pour éviter la capture par le secteur privé. Mais s’en priver au prétexte que la politique industrielle pourrait échouer, ce serait comme renoncer à tout investissement privé parce qu’on ne serait pas complètement assuré qu’il soit rentable.
Aujourd’hui, l’enjeu est de ne pas rater la révolution induite par la transition écologique et l’intelligence artificielle. Les industries vertes sont partout convoitées, et c’est à coups de mesures protectionnistes et d’aides publiques massives que beaucoup tentent de les détenir sur leur sol. Alors que les cartes sont rebattues, l’Europe doit prendre le train lancé à toute vitesse de cette nouvelle révolution.
En déclarant le 11 mai, dans son discours sur la réindustrialisation, « on ne va pas utiliser l’argent du contribuable français pour accélérer l’industrialisation non européenne », le président de la République affiche une position bien plus proche de celle des Etats-Unis que de ses voisins du Nord. Lui reste à convaincre ses partenaires européens de la partager. Car, face à la force de frappe déployée outre-Atlantique et en Chine, c’est bien par une mobilisation au niveau européen que l’on pourra rester dans la course.