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La quête d'autonomie chinoise, la longue histoire d'une priorité nouvelle

De longue date soucieux des enjeux de dépendance vis-à-vis de l’étranger, les autorités chinoises ont au cours de la dernière décennie redéveloppé une ambition claire de réduction des dépendances vis-à-vis de l’étranger. Les attaques de l’administration Trump l’ont portée au rang de priorité absolue. Cette tribune a été publiée dans l’édition datée du 14 mai 2021 du journal Le Monde.
Par François Chimits
 Billet du 25 mai 2021 - Dans les médias


Le Parti communiste chinois (PCC) entretient de longue date une sensibilité aiguë aux dépendances vis-à-vis de l’étranger. L’ère de réforme ouverte en 1978, focalisée sur la sortie de la pauvreté, a relégué un temps cette vigilance au second plan, mais l’insistance de la propagande sur les humiliations infligées au XIXe siècle par les puissances occidentales en a préservé le terreau.

Au fil de son enrichissement, la Chine a assorti son développement, tourné vers les exportations et l’attraction d’investissements étrangers, d’efforts ponctuels contre certaines dépendances. Dès le milieu des années 1990, quelques politiques de réduction de dépendances localisées se sont soldées par de cuisants fiascos, par exemple sur les circuits imprimés. Au tournant de ce siècle, la projection des entreprises chinoises dans le monde s’est faite au motif de la sécurisation des approvisionnements en matières premières. Au cours de la décennie qui a suivi, les autorités ont amorcé un découplage des données et de l’Internet chinois du reste du monde.

Les politiques de substitution d’entreprises nationales aux importations n’ont fait pleinement leur réapparition que dans le sillage du plan de relance de 2009. D’abord cantonnées à des technologies de défense, elles vont croissant en importance et en périmètre, de pair avec le retour en force de la sphère publique dans l’économie. Le plan China 2025 de 2015, et ses "indications" de parts du marché mondial dans des secteurs d’avenir, en est l’emblème.

L’arrivée au pouvoir, en 2016, du président américain Donald Trump, obsédé par le déficit commercial et la hausse des droits de douane, avait de quoi inquiéter Pékin. Ces craintes chinoises ont fini par porter davantage sur les questions technologiques et financières.

En avril 2018, les Américains ont interdit les exportations à destination du principal équipementier télécom chinois, ZTE, pour non-respect des embargos sur la Corée du Nord et l’Iran. Contraint de se plier aux injonctions américaines, Pékin a réalisé sa vulnérabilité à l’unilatéralisme américain. Les déboires similaires de son autre fleuron du secteur, Huawei, et de nombreuses entreprises accusées de participer à son industrie de défense ont confirmé cette faiblesse engendrée par la dépendance de ses entreprises aux intrants étrangers. En outre, les autorités américaines ont aussi réduit l’accès des entreprises chinoises aux marchés et aux entreprises américaines dans de nombreux secteurs jugés stratégiques, et pressent leurs alliés de faire de même.

Priorité au marché domestique

L’administration Trump a aussi fait comprendre aux autorités chinoises leur vulnérabilité par le canal financier. La menace de la suppression de l’accès au dollar de grandes banques chinoises coupables d’avoir enfreint l’embargo nord-coréen a été un temps brandie. Washington a ensuite évoqué l’interdiction des levées de fonds d’entreprises chinoises aux États-Unis et de l’exposition des fonds de pension américains aux marchés financiers chinois. Des mesures ont bien été prises, en particulier sur les cotations en Bourse, mais les quelque 2 000 milliards de dollars de titres d’entreprises chinoises sur les marchés américains ont, pour le moment, été épargnés.

En octobre 2017, dans son discours quinquennal de politique générale, Xi Jinping a dévoilé un "nouveau modèle de développement" chinois à compter de 2021. Fini la mobilisation intensive de ressources à des fins productivistes, place à l’efficience, à la qualité et à l’ouverture. Les récents plans d’application de cette stratégie y ont ajouté le besoin d’"un nouvel équilibre entre sécurité et ouverture", inclus dans le nouveau concept-cadre de "circulation duale". Conformément aux us du PCC, il s’agit en fait d’une validation d’un réagencement des priorités déjà à l’œuvre depuis quelque temps.

Porté par Xi, ce concept revient à donner la priorité au marché domestique, dont "l’immensité doit contrecarrer les éventuelles tactiques de découplage", expliquait, le 9 avril, Le Quotidien du peuple, l’organe de presse du PCC. L’indépendance technologique est élevée au rang de priorité absolue, assortie d’ambitions industrielles et technologiques rehaussées. L’inscription dans la mondialisation est réaffirmée, mais liée aux besoins domestiques.

La volonté de sécuriser les approvisionnements et les marchés s’est déjà traduite par le financement de la diversification des approvisionnements – un objectif également assigné aux entreprises d’État – et par la redynamisation des négociations commerciales – avec un certain nombre de succès, dont l’accord d’investissement avec l’Union européenne. L’ouverture du marché chinois s’est aussi accélérée. Certains droits de douane ont été abaissés. Des secteurs ont été ouverts aux investisseurs étrangers, en particulier là où l’industrie domestique accuse un retard important comme dans la chimie ou l’automobile.

Relents paranoïaques

Attirer des projets industriels de multinationales est redevenu une priorité, comme en témoigne la mise en activité en un temps record des usines à plusieurs milliards d’euros de Tesla ou du chimiste allemand BASF. Les programmes d’attraction de talents étrangers par des primes et des rabais fiscaux se multiplient. Enfin, les voies d’accès à la sphère financière chinoise ont été élargies, donnant lieu à un afflux de 560 milliards de dollars sur les marchés obligataires et boursiers chinois depuis 2018.

Les autorités font ainsi coup double, voire triple. Elles sécurisent leurs approvisionnements en éléments essentiels que l’étranger a encore à lui apporter. Ce faisant, elles accroissent le nombre de leurs alliés objectifs chez leurs partenaires. Et, au niveau domestique, Pékin renforce la lutte contre les protectionnismes locaux et la faiblesse de la consommation des ménages.

Alléchant en théorie, ce recentrage n’est pas sans risques. Les grandes ambitions industrielles du dirigisme chinois ont jusque-là été jalonnées d’échecs. Récemment, les objectifs intermédiaires de China 2025 dans la robotique et les semi-conducteurs ont été complètement manqués. Par ailleurs, le discours sur la nécessité d’une moindre dépendance s’accompagne de relents paranoïaques, voire xénophobes. L’explication des sanctions occidentales par la seule volonté d’empêcher le développement du pays, imposée par la propagande, participe à la montée d’un nationalisme déjà florissant.

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