Vers une relocalisation des projets d’investissement ?
Au plus fort de la crise sanitaire, en avril 2020, les dirigeants d’entreprise, interrogés par le cabinet Ernst & Young sur les tendances qui allaient "s'accélérer le plus au cours des trois prochaines années en conséquence de la crise du COVID-19", répondaient pour plus de la moitié : un retournement de la mondialisation. Alors que cette proportion avait diminué du tiers en octobre, ils étaient un quart à considérer la relocalisation comme la tendance qui allait le plus s’accélérer (graphique 1). Ces réponses illustrent les questionnements issus de la pandémie de Covid-19 à la suite des difficultés d’approvisionnement international sur certains produits et des appels à la relocalisation de la production industrielle.
Mais ces réponses se traduisent-elles concrètement dans les projets d’investissements industriels ? Pour le savoir, nous exploitons les annonces d’investissements faites par les moyennes et grandes entreprises répertoriées dans la base Industries & Stratégies de Trendeo qui couvre plus de 200 000 sources internationales[1]. Nous comparons les annonces faites en 2019 à celles faites après l’apparition de la Covid-19 en 2020.
Le graphique 2 montre que les annonces d’investissements étrangers ont diminué dans presque tous les pays du monde à la suite de la pandémie de Covid-19 : alors qu’entre le 1er janvier et le 8 décembre 2019, 3010 projets avaient été annoncés, seuls 1789 projets étaient enregistrés sur la même période en 2020. Cette baisse de 41 % du nombre d’annonces est très proche de celle observée en 2020 pour les flux d’investissements directs étrangers (42% d’après la CNUCED)[2]. On observe aussi une redistribution des investissements étrangers au profit de certaines régions durant la pandémie. La Chine est ainsi parmi les pays où les projets d’investissements étrangers ont le moins diminué (-33 % contre -49 % en moyenne dans le monde). De façon encore plus notable, un nombre restreint de pays ont vu le nombre d’annonces de grands projets d’investissement par des entreprises étrangères augmenter de façon significative. Ainsi, à Taïwan les annonces ont augmenté de 215 %, au Royaume-Uni de 74 %, au Canada de 56 % et de 44 % en France (de 18 à 26 projets) entre 2019 et 2020.
Source : calculs des auteurs à partir des données Trendeo.
Mais pour juger d’une éventuelle tendance à la relocalisation des multinationales, c’est la part des annonces d’investissement des entreprises d’un pays sur le sol national qu’il faut regarder. Le graphique 3 montre ainsi que la COVID-19 n’a pas jusqu’à présent renforcé les relocalisations ou autres investissements nationaux au niveau mondial : en 2020, 41,1 % des annonces concernaient des projets dans le pays d’origine des entreprises contre 41,4 % en 2019. Parmi les grands acteurs des investissements à l’étranger, la France, le Royaume-Uni et, de façon encore plus prononcée, la Chine font cependant exception : dans la période post-Covid-19, la part des annonces de nouveaux investissements sur le territoire national par des entreprises nationales a significativement augmenté dans ces trois pays. En France, cette part est passée de 21% en 2019 à 25 % en 2020, au Royaume-Uni de 21% à 41 % et en Chine de 52% à 73%. Pour ce dernier pays, cette évolution confirme que la stratégie de réduction de la dépendance vis-à-vis de l’étranger est bien engagée.
Source : calculs des auteurs à partir des données Trendeo.
Si les annonces de grands projets d’investissement industriels en 2020 ne dessinent pas de processus de relocalisation au niveau mondial à la suite de la pandémie de Covid-19, celle-ci a tout de même modifié le poids donné au pays d’origine dans les stratégies d’investissement des entreprises d’un nombre restreint de pays, dont la France. Ces tendances, basées sur les annonces d’investissements, devront être confirmées dans les prochains mois.
[1] La base enregistre au niveau mondial les projets annoncés d’investissements industriels (de R&D, de logistique, d'énergie et de fabrication) de plus de 30 millions de dollars ou impliquant la création d’au moins 50 emplois (nouvelles installations ou extensions de sites existants sur friches industrielles ou nouveaux terrains).
[2] https://unctad.org/system/files/official-document/diaeiainf2021d1_en.pdf.
Références
https://www.ey.com/fr_fr/attractiveness/barometre-de-l-attractivite-de-la-france/barometre-ey-de-l-attractivite-de-l-europe-novembre-2020 (consulté le 21 décembre 2020)
http://www.industries-strategies.com (consulté le 8 décembre 2020).
Données source : data_blog861.xls