Quand allez-vous livrer votre prochaine commande ?
Les exportateurs français n’ont pas sensiblement réduit la fréquence de leurs livraisons pendant la crise, en dépit de la forte chute de la demande. Une récente étude du CEPII explique pourquoi.
Par Lionel Fontagné, Sophie Piton
Caractériser les firmes qui exportent et celles qui n’opèrent que sur le marché domestique est aujourd’hui bien documenté : seules les plus productives exportent. Caractériser les firmes se contentant d’exporter et celles investissant à l’étranger est également bien documenté : parmi les firmes exportatrices, seules les plus productives se sont implantées à l’étranger. Mais comment les firmes exportatrices exportent-elles ? A quelle fréquence les firmes planifient-elles leurs livraisons internationales, compte tenu de la demande pour leurs produits sur leurs différents marchés ? Quels sont donc les déterminants de la fréquence à laquelle les firmes exportent ?
Une récente étude du CEPII explique comment les exportateurs organisent leur présence sur les marchés, c’est-à-dire optimisent la fréquence de leurs livraisons. Le problème posé n’est pas très différent de celui de la fréquence des retraits d’espèces : connaissant vos revenus et dépenses à venir, leur répartition dans le mois et l’aléa entourant cette répartition, la distance du distributeur de billets le plus proche et le rendement (ou non) servi sur les dépôts sur votre compte, combien de fois iriez-vous au distributeur dans le mois ?
De la même façon la fréquence des livraisons des clients étrangers dépend de la structure des coûts de transport, de la demande anticipée et des coûts de stockage. Cette question devient particulièrement intéressante en cas de choc externe : votre salaire est amputé de 20%, ou le commerce mondial s’effondre s’agissant de l’exportateur. La différence étant que pendant la crise, le coût de transport aussi s’effondre, un peu comme si l’on installait un nouveau distributeur de billets, en face de votre domicile. Il vous est alors moins coûteux de faire des retraits.
Une nouvelle marge du commerce international
Afin d’analyser les décisions d’exportation des firmes, les économistes parlent de marges de progression du commerce : la marge extensive c’est la variation du nombre de firmes exportatrices, de biens exportés ou de destinations. La marge intensive concerne la valeur moyenne du flux d’exportation.[1]
G. Békés, L. Fontagné, B. Muraközy et V. Vicard introduisent ici une nouvelle marge extensive, la fréquence d’exportation, et cherchent à quantifier cette nouvelle marge et ses déterminants. Ils étudient comment la fréquence des livraisons internationales est affectée par les coûts du commerce et les variations de la demande.
Optimiser les livraisons
On ne peut pas observer chaque transaction individuelle. Aussi la fréquence d’exportation est-elle définie comme le nombre de mois pour lesquels la firme a exporté, sur une année, un produit donné vers un marché donné. En 2007, la plupart des entreprises françaises n’ont exporté qu’une fois, et seulement 8% des entreprises ont exporté tous les mois (et probablement plus souvent que chaque mois, mais cela n’est pas observable, répétons-le). Bien sûr, les plus grandes entreprises exportent le plus fréquemment (chaque mois ou presque). Cette fréquence est assez stable dans le temps, augmentant marginalement entre 2000 et 2008.
Tout comme lorsque vous décidez ou non de vous rendre au distributeur de billets, les exportateurs optimisent le nombre de déplacements (de livraisons) sous trois contraintes :
Une récente étude du CEPII explique comment les exportateurs organisent leur présence sur les marchés, c’est-à-dire optimisent la fréquence de leurs livraisons. Le problème posé n’est pas très différent de celui de la fréquence des retraits d’espèces : connaissant vos revenus et dépenses à venir, leur répartition dans le mois et l’aléa entourant cette répartition, la distance du distributeur de billets le plus proche et le rendement (ou non) servi sur les dépôts sur votre compte, combien de fois iriez-vous au distributeur dans le mois ?
De la même façon la fréquence des livraisons des clients étrangers dépend de la structure des coûts de transport, de la demande anticipée et des coûts de stockage. Cette question devient particulièrement intéressante en cas de choc externe : votre salaire est amputé de 20%, ou le commerce mondial s’effondre s’agissant de l’exportateur. La différence étant que pendant la crise, le coût de transport aussi s’effondre, un peu comme si l’on installait un nouveau distributeur de billets, en face de votre domicile. Il vous est alors moins coûteux de faire des retraits.
Une nouvelle marge du commerce international
Afin d’analyser les décisions d’exportation des firmes, les économistes parlent de marges de progression du commerce : la marge extensive c’est la variation du nombre de firmes exportatrices, de biens exportés ou de destinations. La marge intensive concerne la valeur moyenne du flux d’exportation.[1]
G. Békés, L. Fontagné, B. Muraközy et V. Vicard introduisent ici une nouvelle marge extensive, la fréquence d’exportation, et cherchent à quantifier cette nouvelle marge et ses déterminants. Ils étudient comment la fréquence des livraisons internationales est affectée par les coûts du commerce et les variations de la demande.
Optimiser les livraisons
On ne peut pas observer chaque transaction individuelle. Aussi la fréquence d’exportation est-elle définie comme le nombre de mois pour lesquels la firme a exporté, sur une année, un produit donné vers un marché donné. En 2007, la plupart des entreprises françaises n’ont exporté qu’une fois, et seulement 8% des entreprises ont exporté tous les mois (et probablement plus souvent que chaque mois, mais cela n’est pas observable, répétons-le). Bien sûr, les plus grandes entreprises exportent le plus fréquemment (chaque mois ou presque). Cette fréquence est assez stable dans le temps, augmentant marginalement entre 2000 et 2008.
Tout comme lorsque vous décidez ou non de vous rendre au distributeur de billets, les exportateurs optimisent le nombre de déplacements (de livraisons) sous trois contraintes :
- Tout d’abord, ils minimisent les coûts de transport. Ces coûts dépendent tout d’abord du moyen de transport : aérien, terrestre, maritime. L’étude se concentre sur le transport maritime. Le coût d’une cargaison comporte un coût fixe (essentiellement des formalités administratives) et un coût variable (proportionnel à la quantité exportée : frais par conteneurs, frais de manutention, assurance, etc.).
- Ils minimisent aussi les frais d’inventaires liés au stockage des produits à destination. Dans certains cas, les produits ne peuvent être stockés : comme les produits frais, ou le prêt-à-porter qui évolue très rapidement. Les exportations seront alors plus fréquentes.
- Ils ajustent enfin leur nombre de transactions à la demande perçue : les exportateurs prennent en compte la demande pour leur produit sur chaque marché d’exportation, nette des coûts variables de transport : un euro de demande n’aura pas la même « valeur » selon la distance au client.
- Ils minimisent aussi les frais d’inventaires liés au stockage des produits à destination. Dans certains cas, les produits ne peuvent être stockés : comme les produits frais, ou le prêt-à-porter qui évolue très rapidement. Les exportations seront alors plus fréquentes.
- Ils ajustent enfin leur nombre de transactions à la demande perçue : les exportateurs prennent en compte la demande pour leur produit sur chaque marché d’exportation, nette des coûts variables de transport : un euro de demande n’aura pas la même « valeur » selon la distance au client.
Les auteurs observent que la fréquence des livraisons des exportateurs français augmente avec la demande perçue et diminue avec coûts fixes de transport. La fréquence d’exportation est également affectée très négativement par la distance (les coûts variables de transport). On exporte plus fréquemment vers les marchés les moins distants, comme on va plus fréquemment au distributeur de billets le plus proche.
La crise de 2008/2009 : l’ajustement par les coûts de fret
La crise de 2008/2009, pendant laquelle les volumes exportés ont diminué de 15% à 25%, fournit un cas d’école quant à l’impact d’un choc de demande sur les comportements d’exportation. La chute des ventes s’est principalement traduite par une baisse des quantités exportées par les firmes (plus que par une baisse des prix). En revanche, la fréquence des livraisons est restée quasiment stable. Comment expliquer que les entreprises aient réduit les quantités exportées mais non (ou marginalement) la fréquence des exportations ? Pourquoi finalement ont-elles chargé moins de conteneurs sur chaque bateau ?
En réalité, si la fréquence est restée stable, c’est en partie parce que la demande nette des coûts de transport a moins baissé que la demande brute. En effet, les coûts de transport se sont effondrés, de concert avec le recul de la demande, puisque chaque exportateur a souhaité charger moins de conteneurs sur chaque bateau. Plusieurs indices confirment une chute du prix du transport des conteneurs en 2009. Celle-ci s’explique par une baisse de la demande de transport alors que de nouvelles capacités devenaient disponibles (les bateaux commandés avant la crise et récemment livrés). Ainsi, la chute des coûts variables de transport (la chute des prix du fret) a-t-elle contrecarré la chute de la demande globale et contribué à maintenir la fréquence des livraisons.
La crise de 2008/2009 : l’ajustement par les coûts de fret
La crise de 2008/2009, pendant laquelle les volumes exportés ont diminué de 15% à 25%, fournit un cas d’école quant à l’impact d’un choc de demande sur les comportements d’exportation. La chute des ventes s’est principalement traduite par une baisse des quantités exportées par les firmes (plus que par une baisse des prix). En revanche, la fréquence des livraisons est restée quasiment stable. Comment expliquer que les entreprises aient réduit les quantités exportées mais non (ou marginalement) la fréquence des exportations ? Pourquoi finalement ont-elles chargé moins de conteneurs sur chaque bateau ?
En réalité, si la fréquence est restée stable, c’est en partie parce que la demande nette des coûts de transport a moins baissé que la demande brute. En effet, les coûts de transport se sont effondrés, de concert avec le recul de la demande, puisque chaque exportateur a souhaité charger moins de conteneurs sur chaque bateau. Plusieurs indices confirment une chute du prix du transport des conteneurs en 2009. Celle-ci s’explique par une baisse de la demande de transport alors que de nouvelles capacités devenaient disponibles (les bateaux commandés avant la crise et récemment livrés). Ainsi, la chute des coûts variables de transport (la chute des prix du fret) a-t-elle contrecarré la chute de la demande globale et contribué à maintenir la fréquence des livraisons.
Gábor Békés, Lionel Fontagné, Balázs Muraközy & Vincent Vicard, « How frequently firms export? Evidence from France », CEPII Working Paper No 2012-06, April 2012.
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[1] Pour plus de détails sur le sujet, voir L’économie mondiale 2012, « Les ressorts de la compétitivité », par Antoine Berthou et Matthieu Crozet, Ed. La Découverte, septembre 2011.