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Commerce, l’Europe doit se donner les moyens de créer un rapport de force

Pour une Europe plus performante (3/5). La préconisation. Quelles sont les pistes de changement proposées par les experts ? « La Croix » sollicite l’avis de Sébastien Jean.

Publié initialement dans La Croix le 1er avril 2019
Par Sébastien Jean
 Billet du 23 avril 2019


L’Europe doit changer d’époque. Le système ancien s’était construit sur des règles mises en place sous l’égide américaine. L’Europe s’y était associée. Elle était même devenue le bon élève qui appelait sans cesse au respect de ces règles, car elles étaient dans son intérêt. Mais aujourd’hui, cet environnement chancelle.

Les rapports de force prennent de plus en plus d’importance. Les règles sont menacées tant par la tentation unilatéraliste américaine que par la puissance du capitalisme d’État à la chinoise, qui a un effet encore plus perturbateur.

Commerce, l’Union européenne doit montrer ses muscles

Nous devons faire évoluer notre logiciel pour l’adapter à un monde moins prévisible et moins réglé. Cela demande plus de pragmatisme. La solution qui me semblerait la meilleure serait une réforme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour assurer une concurrence libre et non faussée et pour nous protéger. C’est quelque chose qui doit être tenté, même si cela semble difficile à atteindre.

Prévoir un plan B

Comme il n’est pas certain que cela aboutisse, il faut prévoir un plan B et être capable de créer un rapport de force pour avoir les moyens de faire respecter les règles. Face aux mesures unilatérales américaines, l’UE dispose de capacités de représailles qui ont montré leur efficacité. C’est une réponse adaptée. Et pour faire face aux subventions chinoises, il existe aussi des instruments de défense commerciale : les droits - antidumping, les mesures compensatoires aux subventions ou les mesures de sauvegarde. Ces outils fonctionnent. Ils ne sont pas une lame émoussée. Mais il faut en faire un usage plus agile.

Quatre axes pour une Europe agricole qui protège

Par ailleurs, l’UE a pris des engagements à l’OMC concernant l’ouverture de ses marchés publics. La Chine n’a pas pris les mêmes engagements. Il serait logique de vouloir obtenir une réciprocité, y compris en usant de mesures de représailles.

En ce qui concerne les investissements étrangers, l’Europe doit protéger ses technologies des acquisitions prédatrices ou ne relevant pas d’une logique économique. C’est devenu un enjeu important, car la technologie est aussi un outil de puissance. L’UE est en train de se doter d’un dispositif de filtrage qui pourrait lui permettre de s’opposer à un investissement étranger pour un motif de sécurité. Mais ce n’est pas suffisant.

Il faudrait aussi pouvoir examiner les cas de rachat subventionnés directement ou indirectement par un État. Il faudrait également pouvoir faire valoir des motifs de concurrence. Car certains rachats visent tout simplement à tuer un concurrent.

Le respect de l’accord de Paris

Enfin, la politique commerciale de l’UE doit tenir compte de l’importance croissante des objectifs de développement durable, par exemple la lutte contre le changement climatique. Il faudrait faire des accords commerciaux des outils, et non des obstacles, pour tenir ces objectifs. On peut par exemple prévoir qu’une préférence commerciale soit conditionnée à la mise en œuvre des objectifs de réduction de CO2 prévus par l’accord de Paris. Bien sûr, il y a un risque à s’engager dans cette voie : celui de surcharger cet accord et donc de paralyser les discussions. Mais les enjeux du développement durable justifient que ce risque soit pris.


Recueilli par Alain Guillemoles, le 1/4/2019
Article original publié dans La Croix

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