Le blog du CEPII

L’Union européenne doit-elle continuer de signer des accords de libre-échange ?

Par Jean Fouré
 Vidéo du 14 mars 2017


Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les droits de douane ont considérablement diminué, pour ne plus s’établir qu’à environ 2 % dans l’Union européenne. Sur quoi portent alors les négociations commerciales aujourd’hui ?

Les négociations portent désormais principalement sur les mesures non-tarifaires, celles qui sans être des droits de douane ont un impact sur les flux commerciaux : normes sanitaires et techniques, obligations d’étiquetage, accès aux marchés publics, etc. Elles sont au cœur des accords dits de 2e génération, comme celui entre l’Union européenne et le Canada (le CETA, ratifié par le Parlement européen le 15 février 2017) ou entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis (le TAFTA, aussi appelé TTIP, en négociation jusque fin 2016).

Pourquoi négocie-t-on ?

Comme pour les droits de douane, l’objectif est de réduire les coûts au commerce, avec l’idée qu’une baisse de ces coûts devrait être profitable aux deux partenaires : les produits seront moins chers et les choix plus importants.
Les études économiques concluent à un impact positif mais modeste de ces accords pour l’UE (de l’ordre de 0,02 points de croissance annuelle supplémentaire sur 15 ans pour le TAFTA). Certains secteurs sont gagnants et d’autres perdants. Dans le cas du CETA, l’accord devrait favoriser les producteurs de fromage tout en mettant en difficulté les producteurs de viande bovine. Avec le TAFTA, c’est l’industrie dans son ensemble qui serait favorisée, mais pas l’agriculture.
Cela étant, ces accords ne se réduisent pas à une simple question de coût et concernent les règles sanitaires et sociales. Il faut donc y regarder de plus près pour déterminer si les gains économiques suffisent à établir la profitabilité de ces accords ou si le diable se cache dans les détails. A priori, il n’y a lieu ni de balayer les risques d’un revers de main, ni d’y opposer un refus de principe.

Quel est l’enjeu des négociations sur les normes européennes ?

L’enjeu est d’adopter de nouvelles normes sanitaires, techniques, sociales, en tenant compte des préférences collectives du partenaire. Par exemple, dans le CETA, un Forum de coopération en matière de réglementation  prévoit la possibilité de consulter les représentants des entreprises et de la société civile canadiens, dans l’élaboration des normes européennes, et réciproquement. C’est dire si l’enjeu est clairement plus politique qu’économique, et susceptible de produire des réactions vives quand les nouvelles normes viennent à s’écarter des préférences collectives des citoyens européens.

Cela veut-il dire que des normes peuvent être adoptées sans contrôle démocratique ?

Non, les recommandations d’un tel Forum suivront les canaux habituels de décision et a minima le Parlement européen devra statuer. La Commission européenne n’est pas seul maître à bord. Ce sont les gouvernements de l’Union qui élaborent le mandat de négociation confié à la Commission, et certains domaines peuvent en être exclus, comme c’est souvent le cas pour l’audiovisuel. Ce mandat peut aussi être confirmé en cours de négociation s’il y a un doute quant à la légitimité des négociations, comme cela a été le cas pour le TAFTA en juin 2016, ou retiré.
Les négociations sont secrètes, mais, à la fin de la procédure, le Parlement européen doit approuver le texte. S’il contient des éléments qui dépassent les compétences de l’UE (accord mixte), les parlements nationaux doivent alors le ratifier. Ainsi, la responsabilité des accords de libre-échange incombe toujours à des représentants élus.

Quoi d’autre dans ces accords ?

Ils couvrent une grande diversité de sujets mais s’il ne fallait en mentionner que deux, je citerais le mécanisme de règlement des différends investisseur-État et la liste négative concernant la fourniture de services par un prestataire étranger, deux domaines qui ont fait couler beaucoup d’encre.
Le mécanisme de règlement des différends investisseur-État permet à une entreprise étrangère de poursuivre, devant un tribunal arbitral, un État lorsqu’elle estime que ce dernier a pris une mesure qui nuit à ses profits futurs. Ce mécanisme est très contesté en raison du pouvoir disproportionné qu’il accorderait aux intérêts privés et de l’affaiblissement des États qu’il provoquerait. Sa légitimité suscite d’autant plus d’interrogations que les entreprises ont déjà accès à des tribunaux nationaux dans l’UE.
Par ailleurs, ces accords permettent aux entreprises de services du partenaire d’opérer dans l’UE (et réciproquement) tout en listant un certain nombre de services exclus de cette disposition, comme certains services publics : on parle de liste négative. Or cette liste négative est figée (à moins de rouvrir des négociations) et cela pose problème. Ainsi, pour un nouveau secteur ou un service qui viendrait à être considéré comme public, on imagine aisément la contestation que pourrait susciter toute protection vis-à-vis d’un partenaire à qui on aurait garanti par défaut l’ouverture dans le traité.

 Au final, faut-il accepter ces accords ?

Au niveau strictement économique, il est aujourd’hui largement reconnu que ces accords font des gagnants et des perdants. Mais la réponse n’appartient pas qu’aux économistes ! Les accords de libre-échange sont une question d’arbitrage politique qui va au-delà de l’économie.  Il reviendra ainsi au prochain Parlement de se prononcer sur le CETA. Il reviendra aussi au prochain gouvernement de déterminer, par le mandat de négociations qu’il confie à la Commission, le futur de tous les accords qui restent à négocier et de décider des compensations à accorder aux perdants.

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