Quel impact du commerce international sur le changement climatique ?
Outre la hausse des émissions dues au transport des marchandises, le commerce influe sur le changement climatique en modifiant les techniques et les spécialisations productives. L’effet global dépend des avantages comparatifs, des politiques environnementales et de la nature des accords commerciaux.
Par Cecilia Bellora
La question de l’impact du commerce international sur l’environnement n’est pas nouvelle, elle est présente dans la littérature économique depuis les années 1970. Les travaux se sont multipliés dans les années 1990, lors des débats autour des négociations de l’Accord de libre-échange nord-américain et de l’Uruguay Round du GATT et à mesure de l’accroissement des volumes échangés (multipliés par 9 entre 1980 et 2014, la part du commerce dans le produit intérieur brut mondial atteignant aujourd’hui 30 %)[1].
Au-delà de l’effet direct sur les émissions dues au transport de marchandises, les travaux théoriques ont mis en évidence trois principaux mécanismes par lesquels le commerce peut avoir un impact sur le changement climatique (voir Copeland et Taylor, 2004 pour une synthèse).
Au-delà de l’effet direct sur les émissions dues au transport de marchandises, les travaux théoriques ont mis en évidence trois principaux mécanismes par lesquels le commerce peut avoir un impact sur le changement climatique (voir Copeland et Taylor, 2004 pour une synthèse).
- Un accroissement du commerce peut induire une augmentation de la production et donc, toutes choses égales par ailleurs, des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit de « l’effet d’échelle ».
- La libéralisation commerciale déplace la production des biens et services en fonction des avantages comparatifs des pays qu’elle concerne. Ainsi, compte tenu des prix, la production peut être relocalisée vers des pays à fortes émissions unitaires (ou inversement). Cet effet est dit « de composition ».
- Enfin, le commerce peut avoir un « effet technique » : il peut rendre disponibles, ou réduire le coût de certaines technologies et ainsi modifier les modes de production, et donc les intensités d’émission. Les discussions sur les biens environnementaux en cours à l’Organisation Mondiale du Commerce visent ainsi à réduire les barrières tarifaires concernant les technologies les moins polluantes.
Les effets d’échelle tendent à augmenter les émissions alors que les effets de technique tendent à les diminuer. Les effets de composition sont plus ambigus. Ils dépendent des avantages comparatifs, ces derniers étant influencés par la dotation en facteurs de production du pays considéré mais également par les politiques environnementales en place (un pays taxant faiblement le carbone aura un avantage dans la production de biens très émetteurs). C’est sur l’équilibre entre ces deux éléments qu’une partie importante du débat a eu lieu : si l’effet des politiques environnementales est prépondérant, on s’attend à ce que, lors d’une libéralisation commerciale, la production de biens polluants se concentre là où les politiques environnementales sont moins strictes, notamment dans les pays en développement, en constituant un « havre de pollution ». Si, au contraire, l’effet de la dotation en facteurs domine, les industries polluantes devraient se concentrer dans les pays développés. En effet, ces industries nécessitent souvent beaucoup de capital et les pays les plus intensifs en capital sont les pays développés. Ces considérations sont rendues encore plus complexes par le fait que les politiques environnementales ne sont pas fixes mais évoluent avec les revenus. Ainsi, le commerce, en générant de la croissance, a tendance à durcir les politiques environnementales. La localisation des industries polluantes est importante dès lors qu’on considère des pollutions locales. Mais, lorsqu’on s’intéresse au changement climatique, elle devient moins prépondérante (en faisant abstraction des questions éthiques) : les gaz à effets de serre ont le même impact global quel que soit leur lieu d’émission. Si une industrie fortement émettrice se déplace d’un pays à un autre (ce qui constitue une forme de fuite de carbone), cela n’affecte pas le changement climatique global, tant que son intensité d’émission reste la même. Néanmoins, si cette industrie, en arrivant dans un pays où les politiques environnementales sont moins strictes que dans son pays d‘origine, augmente son intensité d’émission, cela accroît d’autant les émissions globales.
S’il y a une chose à retenir de la littérature théorique, c’est que les mécanismes selon lesquels le commerce affecte le changement climatique sont complexes et multiples. Ils dépendent des caractéristiques et des politiques de chaque pays et ont des effets ambigus.
La littérature empirique quantifie l’importance des effets en présence et détermine les conditions dans lesquelles le commerce a un impact positif ou négatif sur les émissions de gaz à effet de serre. Les premières études empiriques ont concerné les émissions de dioxyde de sulfure, pour lesquelles les données étaient plus facilement disponibles que celles concernant les émissions de dioxyde de carbone. Néanmoins, dès le début des années 2000, il est clairement établi que les impacts du commerce sur les émissions dépendent du gaz considéré. Les articles utilisant les techniques d’estimation qui tiennent compte du mieux possible des liens entre commerce, croissance et environnement trouvent des résultats assez variés. Frankel et Rose (2005) ne trouvent pas d’effet significatif du commerce sur les émissions de CO2, alors que Managi (2009) trouve un impact différencié entre pays : lorsque le commerce se libéralise, les émissions de CO2 diminuent dans les pays développés (l’effet technique dominant sur les effets d’échelle et de composition), alors qu’elles augmentent dans les pays en développement. Enfin, Baghdadi et al. (2013) montre que les différences d’émissions de CO2 entre pays signataires d’un même accord de libre-échange se réduisent, le pays le plus émetteur se rapprochant du moins émetteur lorsque des clauses environnementales sont incluses dans les accords. Le commerce n’a pas uniquement un impact sur les émissions liées à la production mais également sur celles dues au transport de marchandises. Ce transport peut s’effectuer par voie terrestre, aérienne ou maritime, cette dernière ayant la plus faible intensité d’émission. En considérant que l’ensemble des transports maritimes, des véhicules routiers lourds et deux tiers des transports aériens sont dédiés aux marchandises, le commerce international serait responsable de 43 % des émissions du secteur des transports, soit de 6 % des émissions mondiales en 2010 (AIE, 2012). Toutefois, un approvisionnement strictement local n’est pas garant d’émissions moindres. Certains pays disposent de modes de production suffisamment peu intensifs en émissions pour que le déplacement vers eux de la production entraîne une réduction globale des émissions, en dépit des émissions supplémentaires dues au transport. C’est le cas, par exemple de la laitue exportée d’Espagne vers le Royaume-Uni entre novembre et décembre : son bilan carbone (transport compris) est meilleur que celui de la laitue produite au Royaume-Uni (Edwards-Jones et al., 2008). Dans ce cas, la question est celle de la consommation de produits de saison plutôt que de produits locaux.
Enfin le commerce ne doit pas être considéré uniquement dans la perspective de l’atténuation du changement climatique, mais aussi dans celle de l’adaptation à ses effets. Le changement climatique risque de modifier les lieux de production de certains biens, en particulier agricoles. Le commerce pourra permettre aux pays les plus touchés de continuer à s’approvisionner malgré la baisse de leur production.
Face à ces effets environnementaux complexes, le bilan des accords commerciaux est incertain, mais il dépend largement des modalités choisies et des politiques d’accompagnement. Pour que les accords commerciaux permettent d’aider à lutter contre le changement climatique, il faut s’assurer qu’ils permettent effectivement une diffusion large des technologies à émissivité faible, en facilitant les échanges et l’aide technique dans les secteurs concernés. Il faut également limiter les risques de « fuites » liées aux différences de réglementation entre pays partenaires, ce qui justifie des clauses environnementales contraignantes. Les exemples abondent de telles clauses, mais leur caractère contraignant reste à prouver. Le Partenariat Trans-Pacifique (TPP), signé le 5 novembre dernier, est un exemple particulièrement intéressant en la matière, puisqu’il contient des engagements environnementaux dont le non-respect peut être géré par le mécanisme de traitement des différends propre à l’accord. Les américains ayant affiché leur volonté politique de rendre ces engagements effectivement contraignants, la réalité de leurs effets (si l’accord est ratifié) sera un test de la capacité des accords commerciaux modernes à jouer un rôle constructif dans la coopération internationale sur les questions environnementales et climatiques. Si les engagements pris dans le TPP concernent principalement les ressources halieutiques, ce type de mécanisme pourrait en effet s’appliquer tout aussi bien au changement climatique dans d’autres accords en cours de négociation.
Références :
Copeland, B. R. & Taylor, M. S. (2004), Trade, Growth, and the Environment, Journal of Economic Literature, 42, pp. 7-71
Frankel, J. A. & Rose, A. K. (2005), Is Trade Good or Bad for the Environment? Sorting Out the Causality, Review of Economics and Statistics, 87, 85-91
Managi, S.; Hibiki, A. & Tsurumi, T. (2009), Does trade openness improve environmental quality?, Journal of Environmental Economics and Management, 58, 346 - 363
Baghdadi, L.; Martinez-Zarzoso, I. & Zitouna, H. (2013), Are RTA agreements with environmental provisions reducing emissions?, Journal of International Economics, 90, 378 - 390
Edwards-Jones, G.; Plassmann, K.; York, E.; Hounsome, B.; Jones, D. & Milá i Canals, L. (2009), Vulnerability of exporting nations to the development of a carbon label in the United Kingdom, Environmental Science & Policy, 12, 479-490
AIE (2012), Technology Roadmap - Fuel economy of road vehicles, International Energy Agency (IEA).
S’il y a une chose à retenir de la littérature théorique, c’est que les mécanismes selon lesquels le commerce affecte le changement climatique sont complexes et multiples. Ils dépendent des caractéristiques et des politiques de chaque pays et ont des effets ambigus.
La littérature empirique quantifie l’importance des effets en présence et détermine les conditions dans lesquelles le commerce a un impact positif ou négatif sur les émissions de gaz à effet de serre. Les premières études empiriques ont concerné les émissions de dioxyde de sulfure, pour lesquelles les données étaient plus facilement disponibles que celles concernant les émissions de dioxyde de carbone. Néanmoins, dès le début des années 2000, il est clairement établi que les impacts du commerce sur les émissions dépendent du gaz considéré. Les articles utilisant les techniques d’estimation qui tiennent compte du mieux possible des liens entre commerce, croissance et environnement trouvent des résultats assez variés. Frankel et Rose (2005) ne trouvent pas d’effet significatif du commerce sur les émissions de CO2, alors que Managi (2009) trouve un impact différencié entre pays : lorsque le commerce se libéralise, les émissions de CO2 diminuent dans les pays développés (l’effet technique dominant sur les effets d’échelle et de composition), alors qu’elles augmentent dans les pays en développement. Enfin, Baghdadi et al. (2013) montre que les différences d’émissions de CO2 entre pays signataires d’un même accord de libre-échange se réduisent, le pays le plus émetteur se rapprochant du moins émetteur lorsque des clauses environnementales sont incluses dans les accords. Le commerce n’a pas uniquement un impact sur les émissions liées à la production mais également sur celles dues au transport de marchandises. Ce transport peut s’effectuer par voie terrestre, aérienne ou maritime, cette dernière ayant la plus faible intensité d’émission. En considérant que l’ensemble des transports maritimes, des véhicules routiers lourds et deux tiers des transports aériens sont dédiés aux marchandises, le commerce international serait responsable de 43 % des émissions du secteur des transports, soit de 6 % des émissions mondiales en 2010 (AIE, 2012). Toutefois, un approvisionnement strictement local n’est pas garant d’émissions moindres. Certains pays disposent de modes de production suffisamment peu intensifs en émissions pour que le déplacement vers eux de la production entraîne une réduction globale des émissions, en dépit des émissions supplémentaires dues au transport. C’est le cas, par exemple de la laitue exportée d’Espagne vers le Royaume-Uni entre novembre et décembre : son bilan carbone (transport compris) est meilleur que celui de la laitue produite au Royaume-Uni (Edwards-Jones et al., 2008). Dans ce cas, la question est celle de la consommation de produits de saison plutôt que de produits locaux.
Enfin le commerce ne doit pas être considéré uniquement dans la perspective de l’atténuation du changement climatique, mais aussi dans celle de l’adaptation à ses effets. Le changement climatique risque de modifier les lieux de production de certains biens, en particulier agricoles. Le commerce pourra permettre aux pays les plus touchés de continuer à s’approvisionner malgré la baisse de leur production.
Face à ces effets environnementaux complexes, le bilan des accords commerciaux est incertain, mais il dépend largement des modalités choisies et des politiques d’accompagnement. Pour que les accords commerciaux permettent d’aider à lutter contre le changement climatique, il faut s’assurer qu’ils permettent effectivement une diffusion large des technologies à émissivité faible, en facilitant les échanges et l’aide technique dans les secteurs concernés. Il faut également limiter les risques de « fuites » liées aux différences de réglementation entre pays partenaires, ce qui justifie des clauses environnementales contraignantes. Les exemples abondent de telles clauses, mais leur caractère contraignant reste à prouver. Le Partenariat Trans-Pacifique (TPP), signé le 5 novembre dernier, est un exemple particulièrement intéressant en la matière, puisqu’il contient des engagements environnementaux dont le non-respect peut être géré par le mécanisme de traitement des différends propre à l’accord. Les américains ayant affiché leur volonté politique de rendre ces engagements effectivement contraignants, la réalité de leurs effets (si l’accord est ratifié) sera un test de la capacité des accords commerciaux modernes à jouer un rôle constructif dans la coopération internationale sur les questions environnementales et climatiques. Si les engagements pris dans le TPP concernent principalement les ressources halieutiques, ce type de mécanisme pourrait en effet s’appliquer tout aussi bien au changement climatique dans d’autres accords en cours de négociation.
Références :
Copeland, B. R. & Taylor, M. S. (2004), Trade, Growth, and the Environment, Journal of Economic Literature, 42, pp. 7-71
Frankel, J. A. & Rose, A. K. (2005), Is Trade Good or Bad for the Environment? Sorting Out the Causality, Review of Economics and Statistics, 87, 85-91
Managi, S.; Hibiki, A. & Tsurumi, T. (2009), Does trade openness improve environmental quality?, Journal of Environmental Economics and Management, 58, 346 - 363
Baghdadi, L.; Martinez-Zarzoso, I. & Zitouna, H. (2013), Are RTA agreements with environmental provisions reducing emissions?, Journal of International Economics, 90, 378 - 390
Edwards-Jones, G.; Plassmann, K.; York, E.; Hounsome, B.; Jones, D. & Milá i Canals, L. (2009), Vulnerability of exporting nations to the development of a carbon label in the United Kingdom, Environmental Science & Policy, 12, 479-490
AIE (2012), Technology Roadmap - Fuel economy of road vehicles, International Energy Agency (IEA).
[1] D’après les données de l’Organisation Mondiale du Commerce et de la Banque mondiale.