Chine : quelles sont les motivations de la récente dépréciation du RMB ?
La décision de faire évoluer le régime de change du renminbi prise par les autorités chinoises au début du mois d’août constituerait moins une réponse au ralentissement de l’économie qu’une étape dans la poursuite, envers et contre tout, d’un agenda de libéralisation financière audacieux mais risqué.
Par Christophe Destais
Le 11 août dernier, la banque centrale chinoise (PBOC selon son sigle anglais), a annoncé un changement dans le mode de fixation quotidien du taux de change de la monnaie, le Renminbi (RMB). Alors qu’elle décidait auparavant de manière discrétionnaire le taux pivot Renminbi/Dollar autour duquel les transactions pouvaient se dérouler dans une bande étroite de ± 2%, la PBOC a annoncé qu’elle prendrait désormais en compte la parité à laquelle les transactions se seraient effectuées la veille et les conditions de marché pour fixer le cours pivot quotidien du RMB. Le 23 juillet, le Conseil d’Etat (gouvernement) avait annoncé que les bandes de fluctuation autorisées seraient élargies à ± 3%.
Cette décision – annoncée sans communication préalable – a entraîné une dépréciation de la devise chinoise, que la PBOC a contenue par des interventions (le renminbi a baissé de moins de 3% par rapport au dollar). Les marchés financiers internationaux ont en effet interprété de manière négative le changement intervenu dans la gestion du taux de change. Ils y ont vu une réaction d’inquiétude de l’autorité monétaire face à la détérioration rapide de l’économie chinoise et à la correction boursière.
Interprétée en termes conjoncturels, la décision de la PBOC ne serait cependant pas injustifiée. Le taux de change du Renminbi a suivi l’appréciation nominale du dollar d’abord vis-à-vis du Yen (+50% en deux ans et demi), puis de l’Euro (+ 15% à 20%). Il serait logique que la PBOC cherche à redonner un peu d’air aux exportateurs chinois alors que la croissance de la demande interne ralentit, sans doute fortement.
Il semble cependant que cette décision ait été prise par l’autorité monétaire chinoise non pas à cause de la conjoncture, mais plutôt en dépit de cette dernière. Sa véritable motivation aurait été d’envoyer le signal d’une meilleure prise en compte des forces de marché dans la fixation du taux de change, dans la perspective d’une inclusion du Renminbi dans le panier des devises utilisé par le FMI pour calculer la valeur de son unité de compte, les « droits de tirage spéciaux » (DTS). La Chine est en négociation depuis 2011 à ce sujet et pensait aboutir à l’automne 2015, qui est l’échéance normale de révision de la composition du panier. Mais un rapport du FMI, publié au début août, proposait de reporter de neuf mois l’échéance, contestant que la Chine satisfasse le critère obligatoire de « libre usage » international de sa monnaie. De fait, les contrôles de capitaux, encore présents bien qu’en voie d’allègement, et le manque de profondeur des marchés financiers chinois limitent encore beaucoup la liquidité des actifs libellés en RMB détenus par les non-résidents.
La motivation de la décision de la PBOC serait donc stratégique et non conjoncturelle. Ce ne serait qu’une étape dans la libéralisation en cours du secteur financier chinois qui a beaucoup progressé ces dernières années. Les taux d’intérêt débiteurs et créditeurs des banques ne sont plus administrés. La libéralisation de l’investissement direct des entreprises chinoises à l’étranger est acquise. Les banques chinoises se financent davantage à l’étranger et sont de plus en plus exposées à des risques internationaux. Sous le vocable chapeau d’ « internationalisation du Renminbi », de nombreuses mesures ont été prises pour faciliter l’usage du RMB hors de Chine pour les paiements, mais aussi pour les opérations financières. Enfin, le régime de quotas auquel sont encore soumis les investissements de portefeuille des étrangers en Chine et des Chinois à l’étranger était en voie d’assouplissement jusqu’à la récente détérioration de la situation économique.
Le rythme rapide de la libéralisation financière contraste avec celui des autres réformes annoncées depuis l’arrivée au pouvoir du Président Xi Jinping en 2012, comme le renforcement du rôle du marché dans l’allocation des ressources et le développement de l’état de droit ou la réforme foncière. Dans ces domaines, la progression a été très lente. Les réformes se heurtent aux intérêts acquis des exportateurs, des entreprises publiques et de certains pouvoirs locaux. La campagne anti-corruption en cours pourrait contribuer à affaiblir ces groupes d’intérêt, mais son principal objectif paraît être bien davantage le contrôle politique que la réforme économique.
En poursuivant la libéralisation financière, la banque centrale chinoise et une partie des autorités chinoises auraient parié sur l’ouverture financière de la Chine pour faire avancer un agenda de réformes libérales internes.
Si l’on s’en tient aux équilibres monétaires et financiers extérieurs, ce pari – si c’est bien celui de la PBOC – serait risqué. La Chine doit en effet gérer la transition entre une situation dans laquelle l’essentiel des énormes excédents extérieurs était recyclé sous formes de réserves de change par la banque centrale, qui ont culminé à près de 4000 milliards de dollars, à une situation dans laquelle du fait de la libéralisation des mouvements de capitaux, l’actif extérieur du pays se diversifie : une part croissante est détenue par des investisseurs privés, les actifs étrangers détenus sont de moins en moins des titres émis par les gouvernements et les agences gouvernementales et de plus en plus des investissements sous forme diverses dans le secteur privé.
Cette transition est délicate. Un mouvement de redéploiement rapide des actifs extérieurs des réserves vers d’autres catégories pourrait favoriser des stratégies aventureuses à l’étranger. La Chine pourrait également se voir confrontée aux difficultés rencontrées par les autres pays qui ont libéralisé les flux de capitaux à court-terme : les entrées et sorties de capitaux peuvent être brutales, avoir un effet déstabilisant sur le financement global de l’économie et peser sur la solvabilité des entreprises et institutions financières qui sont exposées aux financements internationaux. La transition peut également être perturbée par les fluctuations sur le taux de change, elles-mêmes liées à la recomposition de ces actifs et de ces passifs extérieurs, à la détérioration de la compétitivité internationale de la Chine ou aux incertitudes sur son économie. La volonté probable des autorités chinoises d’atténuer ces fluctuations contraindrait à son tour la politique monétaire.
Cette décision – annoncée sans communication préalable – a entraîné une dépréciation de la devise chinoise, que la PBOC a contenue par des interventions (le renminbi a baissé de moins de 3% par rapport au dollar). Les marchés financiers internationaux ont en effet interprété de manière négative le changement intervenu dans la gestion du taux de change. Ils y ont vu une réaction d’inquiétude de l’autorité monétaire face à la détérioration rapide de l’économie chinoise et à la correction boursière.
Interprétée en termes conjoncturels, la décision de la PBOC ne serait cependant pas injustifiée. Le taux de change du Renminbi a suivi l’appréciation nominale du dollar d’abord vis-à-vis du Yen (+50% en deux ans et demi), puis de l’Euro (+ 15% à 20%). Il serait logique que la PBOC cherche à redonner un peu d’air aux exportateurs chinois alors que la croissance de la demande interne ralentit, sans doute fortement.
Il semble cependant que cette décision ait été prise par l’autorité monétaire chinoise non pas à cause de la conjoncture, mais plutôt en dépit de cette dernière. Sa véritable motivation aurait été d’envoyer le signal d’une meilleure prise en compte des forces de marché dans la fixation du taux de change, dans la perspective d’une inclusion du Renminbi dans le panier des devises utilisé par le FMI pour calculer la valeur de son unité de compte, les « droits de tirage spéciaux » (DTS). La Chine est en négociation depuis 2011 à ce sujet et pensait aboutir à l’automne 2015, qui est l’échéance normale de révision de la composition du panier. Mais un rapport du FMI, publié au début août, proposait de reporter de neuf mois l’échéance, contestant que la Chine satisfasse le critère obligatoire de « libre usage » international de sa monnaie. De fait, les contrôles de capitaux, encore présents bien qu’en voie d’allègement, et le manque de profondeur des marchés financiers chinois limitent encore beaucoup la liquidité des actifs libellés en RMB détenus par les non-résidents.
La motivation de la décision de la PBOC serait donc stratégique et non conjoncturelle. Ce ne serait qu’une étape dans la libéralisation en cours du secteur financier chinois qui a beaucoup progressé ces dernières années. Les taux d’intérêt débiteurs et créditeurs des banques ne sont plus administrés. La libéralisation de l’investissement direct des entreprises chinoises à l’étranger est acquise. Les banques chinoises se financent davantage à l’étranger et sont de plus en plus exposées à des risques internationaux. Sous le vocable chapeau d’ « internationalisation du Renminbi », de nombreuses mesures ont été prises pour faciliter l’usage du RMB hors de Chine pour les paiements, mais aussi pour les opérations financières. Enfin, le régime de quotas auquel sont encore soumis les investissements de portefeuille des étrangers en Chine et des Chinois à l’étranger était en voie d’assouplissement jusqu’à la récente détérioration de la situation économique.
Le rythme rapide de la libéralisation financière contraste avec celui des autres réformes annoncées depuis l’arrivée au pouvoir du Président Xi Jinping en 2012, comme le renforcement du rôle du marché dans l’allocation des ressources et le développement de l’état de droit ou la réforme foncière. Dans ces domaines, la progression a été très lente. Les réformes se heurtent aux intérêts acquis des exportateurs, des entreprises publiques et de certains pouvoirs locaux. La campagne anti-corruption en cours pourrait contribuer à affaiblir ces groupes d’intérêt, mais son principal objectif paraît être bien davantage le contrôle politique que la réforme économique.
En poursuivant la libéralisation financière, la banque centrale chinoise et une partie des autorités chinoises auraient parié sur l’ouverture financière de la Chine pour faire avancer un agenda de réformes libérales internes.
Si l’on s’en tient aux équilibres monétaires et financiers extérieurs, ce pari – si c’est bien celui de la PBOC – serait risqué. La Chine doit en effet gérer la transition entre une situation dans laquelle l’essentiel des énormes excédents extérieurs était recyclé sous formes de réserves de change par la banque centrale, qui ont culminé à près de 4000 milliards de dollars, à une situation dans laquelle du fait de la libéralisation des mouvements de capitaux, l’actif extérieur du pays se diversifie : une part croissante est détenue par des investisseurs privés, les actifs étrangers détenus sont de moins en moins des titres émis par les gouvernements et les agences gouvernementales et de plus en plus des investissements sous forme diverses dans le secteur privé.
Cette transition est délicate. Un mouvement de redéploiement rapide des actifs extérieurs des réserves vers d’autres catégories pourrait favoriser des stratégies aventureuses à l’étranger. La Chine pourrait également se voir confrontée aux difficultés rencontrées par les autres pays qui ont libéralisé les flux de capitaux à court-terme : les entrées et sorties de capitaux peuvent être brutales, avoir un effet déstabilisant sur le financement global de l’économie et peser sur la solvabilité des entreprises et institutions financières qui sont exposées aux financements internationaux. La transition peut également être perturbée par les fluctuations sur le taux de change, elles-mêmes liées à la recomposition de ces actifs et de ces passifs extérieurs, à la détérioration de la compétitivité internationale de la Chine ou aux incertitudes sur son économie. La volonté probable des autorités chinoises d’atténuer ces fluctuations contraindrait à son tour la politique monétaire.