Réformes structurelles : pourquoi le terme est-il devenu si "toxique" ?
Du 21 au 23 mai, la BCE a organisé l'édition 2015 du forum annuel sur les banques centrales. Le discours inaugural de Mario Draghi, ainsi que les discussions du 23 mai, ont porté essentiellement sur la nécessité de réformes structurelles pour renforcer la croissance en Europe.
Par Sophie Piton
Dans son discours d’ouverture de l’édition 2015 du Forum sur les banques centrales organisé par la BCE, Mario Draghi a souligné que, depuis la création de la monnaie unique, les « réformes structurelles » avaient été mentionnées dans près d’un tiers des discours du directoire de la BCE. De nombreuses réformes ont déjà été mises en place mais ont fait l’objet de débats si houleux que le terme même de « réformes structurelles » serait devenu « toxique » ! Loin d’être portées par un consensus national dans les pays sous programme, les réformes ont souvent paru imposées par la troïka dans le seul but de réduire les coûts de la main-d'œuvre et de réaliser ainsi des dévaluations internes [1].
Pourquoi donc, le directeur de la BCE a-t-il, une nouvelle fois, abordé ce sujet toxique et insisté sur le rôle des réformes structurelles dans le renforcement de la prospérité et de la stabilité de la zone euro ?
Deux raisons principales ont été avancées lors du forum. Tout d’abord, comme O. Blanchard et J. Galí l’ont rappelé, la récession dans les pays européens semble avoir non seulement réduit la croissance mais avoir aussi dégradé de façon permanente la croissance potentielle. Les réformes structurelles devraient permettre d’accroître de manière permanente l'efficacité de l’économie afin de libérer le potentiel de croissance de la zone et d'augmenter sa résistance aux chocs futurs.
La deuxième raison est que les réformes structurelles pourraient contribuer à réduire la divergence entre les membres de la zone euro, qui constitue un défi de taille pour l'efficacité d’une politique monétaire unique. Cette divergence s’est traduite, avant la crise, par de forts différentiels d'inflation. Alors que l'introduction de l'euro aurait dû favoriser une convergence réelle, l’afflux de capitaux des pays les plus « riches » de la zone vers ceux en « rattrapage » s’est investi dans les secteurs non échangeables, moins innovants. Cette mauvaise allocation du capital a permis à certaines entreprises d'extraire des rentes excessives et a alimenté de fortes hausses de prix (voir S. Piton, à paraître). Depuis la crise financière, la divergence se traduit par de fortes hétérogénéités dans la façon dont les économies y ont réagi et par de fortes disparités dans les taux de chômage. Des réformes structurelles coordonnées au niveau européen devraient permettre de réduire l’hétérogénéité entre pays et de favoriser une convergence réelle des économies.
Deux types de réformes ont été discutés par les participants au forum : réformes des marchés du travail et réformes des marchés des biens et services. En ce qui concerne les marchés du travail, T. Boeri a souligné la divergence croissante entre membres de la zone euro. Celle-ci proviendrait, à parts égales, de différences dans les institutions nationales et de différences dans l’amplitude des chocs auxquels les pays ont dû faire face (fonction des déséquilibres financiers accumulés avant la crise). Dans les pays sous programme, la Commission européenne insiste actuellement sur la réduction des coûts de licenciement et encourage les ajustements salariaux à la baisse, au risque de renforcer la récession et de rendre plus difficile le désendettement. Au lieu de cette « conditionnalité négative » (dérégulations sur les marchés du travail dans chaque pays), T. Boeri a avancé une série de propositions en faveur d’une « conditionnalité positive » reposant sur la création d'institutions supranationales pour compléter et renforcer les institutions nationales.
Les discussions ont également porté sur les réformes des marchés des biens et services (qui visent principalement à augmenter la compétitivité des secteurs des services), sans doute moins difficiles à mettre en œuvre et à recueillir l’adhésion. Toutefois, les discussions n’ont que peu traité des impacts de ces réformes : leur impact sur la réallocation des facteurs de production est ambigu (voir S. Piton, à paraître), certains auteurs ayant notamment montré que de telles réformes pouvaient avoir un effet récessif, au moins à court terme et en particulier dans un contexte de croissance faible (voir en particulier L. Vogel, 2014). Au final, une analyse plus approfondie de l’économie politique de la mise en œuvre de ces deux types de réformes – réformes des marchés du travail et des marchés des produits – est nécessaire, puisque Blanchard et Giavazzi ont montré, dans leur article de 2001, qu’un programme ciblé et coordonné pourrait permettre de bénéficier des gains de leurs interactions.
Les réformes structurelles ne sont pas dans le mandat de la BCE. Cependant, O. Blanchard et J. Gali ont fait valoir que la rupture de la relation traditionnelle entre l'inflation et le chômage a des implications majeures pour la politique monétaire : une politique monétaire ayant pour seul objectif le maintien de l’inflation à un niveau cible pourrait se révéler néfaste en présence d’un chômage caractérisé par un phénomène d’hystérèse. S. Fisher a précisé que « les banquiers centraux devaient réfléchir à des réformes structurelles uniquement en termes de croissance potentielle de l'économie ». Pour, M. Draghi « les gouverneurs des banques centrales devraient être tout à fait clairs sur les politiques, ou l'absence de politiques, qui entravent leur mandat, ou qui rendent leur mandat plus difficile à mener, voire impossible. » Le message principal de ce forum est donc d'encourager les discussions au niveau national et supranational pour définir un ensemble précis de réformes à mettre en œuvre.
Au-delà du forum, les discussions ne devraient pas se concentrer uniquement sur la façon de faciliter la réallocation des facteurs ; elles devraient aussi s’interroger sur les moyens d’inciter les facteurs à se réaffecter vers les secteurs les plus innovants. Sans innovations, et à reposer uniquement sur la croissance des secteurs les plus intensifs en main-d'œuvre (la construction notamment), les économies ne peuvent connaître que de courts épisodes de croissance et risquent de dépendre de financements extérieurs (voir T. Grjebine, 2015.) Mais comme le souligne C. Pissarides, la croissance de la productivité et l'innovation peuvent également avoir des effets inégalitaires. Une action politique serait alors nécessaire pour que la croissance profite à tous les secteurs de l'économie.
Se concentrer uniquement et séparément sur ces deux types de réformes – réformes des marchés du travail et des marchés de biens et services – pourrait donc facilement devenir «toxique». Cela pourrait même renforcer la divergence réelle des économies de la zone euro. Pour vraiment libérer le potentiel de croissance, une analyse plus poussée devrait être menée sur la façon dont les pays européens doivent se coordonner pour relancer et financer les investissements dans les secteurs les plus innovants de leurs économies.
[1] Sur les effets de la dévaluation interne, voir Bara & Piton, 2012.
Pourquoi donc, le directeur de la BCE a-t-il, une nouvelle fois, abordé ce sujet toxique et insisté sur le rôle des réformes structurelles dans le renforcement de la prospérité et de la stabilité de la zone euro ?
Deux raisons principales ont été avancées lors du forum. Tout d’abord, comme O. Blanchard et J. Galí l’ont rappelé, la récession dans les pays européens semble avoir non seulement réduit la croissance mais avoir aussi dégradé de façon permanente la croissance potentielle. Les réformes structurelles devraient permettre d’accroître de manière permanente l'efficacité de l’économie afin de libérer le potentiel de croissance de la zone et d'augmenter sa résistance aux chocs futurs.
La deuxième raison est que les réformes structurelles pourraient contribuer à réduire la divergence entre les membres de la zone euro, qui constitue un défi de taille pour l'efficacité d’une politique monétaire unique. Cette divergence s’est traduite, avant la crise, par de forts différentiels d'inflation. Alors que l'introduction de l'euro aurait dû favoriser une convergence réelle, l’afflux de capitaux des pays les plus « riches » de la zone vers ceux en « rattrapage » s’est investi dans les secteurs non échangeables, moins innovants. Cette mauvaise allocation du capital a permis à certaines entreprises d'extraire des rentes excessives et a alimenté de fortes hausses de prix (voir S. Piton, à paraître). Depuis la crise financière, la divergence se traduit par de fortes hétérogénéités dans la façon dont les économies y ont réagi et par de fortes disparités dans les taux de chômage. Des réformes structurelles coordonnées au niveau européen devraient permettre de réduire l’hétérogénéité entre pays et de favoriser une convergence réelle des économies.
Deux types de réformes ont été discutés par les participants au forum : réformes des marchés du travail et réformes des marchés des biens et services. En ce qui concerne les marchés du travail, T. Boeri a souligné la divergence croissante entre membres de la zone euro. Celle-ci proviendrait, à parts égales, de différences dans les institutions nationales et de différences dans l’amplitude des chocs auxquels les pays ont dû faire face (fonction des déséquilibres financiers accumulés avant la crise). Dans les pays sous programme, la Commission européenne insiste actuellement sur la réduction des coûts de licenciement et encourage les ajustements salariaux à la baisse, au risque de renforcer la récession et de rendre plus difficile le désendettement. Au lieu de cette « conditionnalité négative » (dérégulations sur les marchés du travail dans chaque pays), T. Boeri a avancé une série de propositions en faveur d’une « conditionnalité positive » reposant sur la création d'institutions supranationales pour compléter et renforcer les institutions nationales.
Les discussions ont également porté sur les réformes des marchés des biens et services (qui visent principalement à augmenter la compétitivité des secteurs des services), sans doute moins difficiles à mettre en œuvre et à recueillir l’adhésion. Toutefois, les discussions n’ont que peu traité des impacts de ces réformes : leur impact sur la réallocation des facteurs de production est ambigu (voir S. Piton, à paraître), certains auteurs ayant notamment montré que de telles réformes pouvaient avoir un effet récessif, au moins à court terme et en particulier dans un contexte de croissance faible (voir en particulier L. Vogel, 2014). Au final, une analyse plus approfondie de l’économie politique de la mise en œuvre de ces deux types de réformes – réformes des marchés du travail et des marchés des produits – est nécessaire, puisque Blanchard et Giavazzi ont montré, dans leur article de 2001, qu’un programme ciblé et coordonné pourrait permettre de bénéficier des gains de leurs interactions.
Les réformes structurelles ne sont pas dans le mandat de la BCE. Cependant, O. Blanchard et J. Gali ont fait valoir que la rupture de la relation traditionnelle entre l'inflation et le chômage a des implications majeures pour la politique monétaire : une politique monétaire ayant pour seul objectif le maintien de l’inflation à un niveau cible pourrait se révéler néfaste en présence d’un chômage caractérisé par un phénomène d’hystérèse. S. Fisher a précisé que « les banquiers centraux devaient réfléchir à des réformes structurelles uniquement en termes de croissance potentielle de l'économie ». Pour, M. Draghi « les gouverneurs des banques centrales devraient être tout à fait clairs sur les politiques, ou l'absence de politiques, qui entravent leur mandat, ou qui rendent leur mandat plus difficile à mener, voire impossible. » Le message principal de ce forum est donc d'encourager les discussions au niveau national et supranational pour définir un ensemble précis de réformes à mettre en œuvre.
Au-delà du forum, les discussions ne devraient pas se concentrer uniquement sur la façon de faciliter la réallocation des facteurs ; elles devraient aussi s’interroger sur les moyens d’inciter les facteurs à se réaffecter vers les secteurs les plus innovants. Sans innovations, et à reposer uniquement sur la croissance des secteurs les plus intensifs en main-d'œuvre (la construction notamment), les économies ne peuvent connaître que de courts épisodes de croissance et risquent de dépendre de financements extérieurs (voir T. Grjebine, 2015.) Mais comme le souligne C. Pissarides, la croissance de la productivité et l'innovation peuvent également avoir des effets inégalitaires. Une action politique serait alors nécessaire pour que la croissance profite à tous les secteurs de l'économie.
Se concentrer uniquement et séparément sur ces deux types de réformes – réformes des marchés du travail et des marchés de biens et services – pourrait donc facilement devenir «toxique». Cela pourrait même renforcer la divergence réelle des économies de la zone euro. Pour vraiment libérer le potentiel de croissance, une analyse plus poussée devrait être menée sur la façon dont les pays européens doivent se coordonner pour relancer et financer les investissements dans les secteurs les plus innovants de leurs économies.
[1] Sur les effets de la dévaluation interne, voir Bara & Piton, 2012.