Les migrations intra-européennes bénéficient surtout aux pays d’accueil
L’élargissement de l’UE en 2004 semble avoir eu des effets positifs sur les finances publiques et neutres sur l’emploi et les salaires des pays de destination. Les pays d’origine ont eux bénéficié de transferts accrus, mais sont confrontés à une « fuite des cerveaux ».
Par Maëlan Le Goff
Les travaux empiriques qui traitent des effets économiques des migrations intra-européennes pour les pays membres sont rares. Toutefois, un certain nombre d’études ont analysé les effets de l’entrée des nouveaux travailleurs issus des pays ayant rejoint l’UE en 2004 (groupe de pays dit A8 [1]). Ces études portent sur la Grande-Bretagne qui est l’un des seuls pays (avec la Suède et l’Irlande) à ne pas avoir mis en place de mesures restreignant temporairement l’accès à son marché du travail aux immigrés originaires des pays entrés dans l’UE en 2004.
L’effet sur les finances publiques de la Grande-Bretagne semble positif en raison des caractéristiques sociodémographiques des immigrés originaires des pays A8 (Dustmann, Frattini et Hall, 2010). Ces derniers sont jeunes (70 % ont entre 20 et 35 ans), ont un taux de participation au marché du travail plus élevé que celui des natifs, sont plus qualifiés, ont moins d’enfants, et pèsent donc moins sur les dépenses publiques que les natifs.
L’incidence sur le marché du travail en Grande-Bretagne (niveau d’emploi ou de salaires) ne semble pas avoir été significative (Lemos et Portes 2013). Cela pourrait s’expliquer, si l’on se réfère à la théorie de Borjas (1995), par le fait que les migrants des pays A8 aient plutôt des qualifications complémentaires à celles des natifs. Dans les pays d’origine, il semble que l’émigration globale ait participé à la diminution du taux de chômage (notamment en Pologne [2] et en Slovaquie [3]).
Les migrations intra-européennes, en particulier les flux est-ouest, auraient également permis de ralentir la diminution de la population active dans les pays d’Europe de l’ouest vieillissants et de compenser la pénurie de travailleurs dans certains secteurs, notamment dans le domaine médical.
L’effet sur les finances publiques de la Grande-Bretagne semble positif en raison des caractéristiques sociodémographiques des immigrés originaires des pays A8 (Dustmann, Frattini et Hall, 2010). Ces derniers sont jeunes (70 % ont entre 20 et 35 ans), ont un taux de participation au marché du travail plus élevé que celui des natifs, sont plus qualifiés, ont moins d’enfants, et pèsent donc moins sur les dépenses publiques que les natifs.
L’incidence sur le marché du travail en Grande-Bretagne (niveau d’emploi ou de salaires) ne semble pas avoir été significative (Lemos et Portes 2013). Cela pourrait s’expliquer, si l’on se réfère à la théorie de Borjas (1995), par le fait que les migrants des pays A8 aient plutôt des qualifications complémentaires à celles des natifs. Dans les pays d’origine, il semble que l’émigration globale ait participé à la diminution du taux de chômage (notamment en Pologne [2] et en Slovaquie [3]).
Les migrations intra-européennes, en particulier les flux est-ouest, auraient également permis de ralentir la diminution de la population active dans les pays d’Europe de l’ouest vieillissants et de compenser la pénurie de travailleurs dans certains secteurs, notamment dans le domaine médical.
La mobilité du personnel médical a d’ailleurs été facilitée grâce à l’adoption de mesures encourageant le transfert des diplômes et des qualifications au sein de l’Union Européenne (exemple de la directive de 2005). Certains pays d’Europe de l’ouest sont devenus très dépendants du personnel médical formé à l’étranger, à l’image de l’Irlande ou de la Grande Bretagne, où environ un tiers des médecins ont été formés à l’étranger [4]. Inversement, cette mobilité est-ouest aggrave la pénurie de personnel médical et de personnel qualifié dans les pays d’Europe de l’est (qui font face également au vieillissement de leur population, phénomène accentué par l’émigration des jeunes générations), au point que certains, comme la Roumanie, doivent eux-mêmes faire appel à des immigrés venus de pays tiers.
En moyenne le taux d’émigration des personnes qualifiées [5] des nouveaux pays de l’UE (NPE) est passé de 11 % en 2000 à 16 % en 2010 (contre une moyenne d’à peine 8 % dans les Vieux pays européens représentés sur le graphique 1). En 2010, les taux d’émigration des qualifiés les plus élevés parmi les NPE ont été constatés en Estonie (33,4 %, non représentée ici), en Roumanie (20,4 %) et en Lettonie (18 %). Dans les vieux pays européens considérés, ces taux ne dépassaient pas les 10 % en 2010, sauf au Royaume-Uni (16,7 %).
Graphique 1 : Taux d’émigration des personnes qualifiées (1990-2010)
Source : Brücker et al. (2013) et calcul de l’auteur
Source : Brücker et al. (2013) et calcul de l’auteur
La perte provoquée par le départ de cette population active qualifiée, principalement vers les pays d’Europe occidentale, pourrait être en partie compensée par les remises des migrants et les migrations de retour. En effet, les migrations intra-européennes concernent des distances relativement courtes où par ailleurs les démarches administratives sont facilitées, ce qui favorise le maintien de liens avec le pays d’origine et le retour des migrants qui pourront faire profiter leur pays de l’expérience acquise à l’étranger. La force des liens maintenus avec la famille restée au pays et le désir de retour constituent deux facteurs favorables aux transferts financiers des migrants. D’une façon générale, ces derniers semblent avoir progressé suite à l’entrée des pays dans l’UE (graphique 2), bien que la crise de 2008 ait significativement affecté cette progression (en raison des difficultés économiques rencontrées par les migrants mais aussi du retour d’une partie d’entre eux dans leur pays d’origine). En 2010, les transferts reçus représentaient encore presque 3 % du PIB en Bulgarie et 4,6 % en Lituanie.
Graphique 2 : Transferts des migrants reçus par les Nouveaux Pays Européens, en millions (2000-2012)
Notes : seuls les montants correspondant à la Bulgarie et la Pologne sont indiqués sur l’axe de droite.
Source : WDI et calcul de l’auteur.
Notes : seuls les montants correspondant à la Bulgarie et la Pologne sont indiqués sur l’axe de droite.
Source : WDI et calcul de l’auteur.
Enfin, le départ des individus qualifiés peut inciter les jeunes à eux-mêmes poursuivre des études. Comme tous ne migreront pas, cela pourra développer le niveau de capital humain du pays (Mountford, 1997). Peri et Mayr (2009) ont ainsi montré que l’effet positif de l’incitation et du retour des migrants sur le capital humain dépasse l’effet négatif de la fuite des cerveaux pour les pays d’Europe de l’est.
Références :
Brücker H., Capuano, S. and Marfouk, A. (2013). Education, gender and international migration: insights from a panel-dataset 1980-2010, mimeo.
Dustmann, C., T. Frattini and C. Halls, (2010), "Assessing the Fiscal Costs and Benefits of A8 Migration to the UK," Fiscal Studies, Institute for Fiscal Studies, vol. 31(1), pages 1-41, 03.
Lemos S. and J. Portes, (2013), "New Labour? The Effects of Migration from Central and Eastern Europe on Unemployment and Wages in the UK," The B.E. Journal of Economic Analysis & Policy, De Gruyter, vol. 14(1), pages 299-338, December.
Mayr, K. And G. Peri, (2009, "Brain Drain and Brain Return: Theory and Application to Eastern-Western Europe," The B.E. Journal of Economic Analysis & Policy, De Gruyter, vol. 9(1), pages 1-52, November.
Mountford, A., (1997), "Can a brain drain be good for growth in the source economy?," Journal of Development Economics, Elsevier, vol. 53(2), pages 287-303, August.
Okólski, M. et I. Topi?ska, 2012, Social Impact of Emigration and Rural-Urban Migration in Central and Eastern Europe Final country report Poland.VC/2010/0026.
Dustmann, C., T. Frattini and C. Halls, (2010), "Assessing the Fiscal Costs and Benefits of A8 Migration to the UK," Fiscal Studies, Institute for Fiscal Studies, vol. 31(1), pages 1-41, 03.
Lemos S. and J. Portes, (2013), "New Labour? The Effects of Migration from Central and Eastern Europe on Unemployment and Wages in the UK," The B.E. Journal of Economic Analysis & Policy, De Gruyter, vol. 14(1), pages 299-338, December.
Mayr, K. And G. Peri, (2009, "Brain Drain and Brain Return: Theory and Application to Eastern-Western Europe," The B.E. Journal of Economic Analysis & Policy, De Gruyter, vol. 9(1), pages 1-52, November.
Mountford, A., (1997), "Can a brain drain be good for growth in the source economy?," Journal of Development Economics, Elsevier, vol. 53(2), pages 287-303, August.
Okólski, M. et I. Topi?ska, 2012, Social Impact of Emigration and Rural-Urban Migration in Central and Eastern Europe Final country report Poland.VC/2010/0026.
Vojtovich, S. (2013), The Impact of Emigration on Unemployment in Slovakia, Engineering Economics, vol 24(3).
[1] Comprenant la République Tchèque, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Slovaquie et la Slovénie.
[2] Okólski, M. et I. Topi?ska (2012).
[3] Vojtovich (2013).
[4] Policy Brief on the International Migration of Health Workforce (OECD/WHO 2010).
[5] Correspond à la part du stock de migrants qualifiés du pays considéré en pourcentage de la population totale qualifiée du pays (comprenant les migrants). Une personne est qualifiée si elle possède un niveau d’éducation supérieur.