Modalités et enjeux de la sortie du quantitative easing aux États-Unis
La sortie de la politique monétaire de très bas taux d’intérêt couplée à des achats systématiques de titres publics longs suscite des inquiétudes. Quelles en sont les modalités ? Quels en sont les risques pour l’économie américaine et le reste du monde ?
Par Urszula Szczerbowicz
Entre 2008 et 2013, la banque centrale américaine (Réserve fédérale, Fed) a engagé trois programmes successifs d’assouplissement quantitatif (ou quantitative easing, QE), c’est-à-dire d’achats de titres de la dette publique et de créances hypothécaires titrisées, baptisés QE1, QE2 et QE3. Depuis décembre dernier, elle a commencé à ralentir le rythme de ses achats nets au titre du programme QE3. Cette politique, dont le principal objectif est de faire baisser les taux d’intérêt à moyen terme, est couplée à des taux d’intérêt à court terme quasi nul. Comme cela avait déjà été le cas lorsqu’elle a été mise en œuvre, la politique de retrait du quantitative easing suscite des inquiétudes tant aux États-Unis que dans le reste du monde et la FED a commencé à en expliquer certaines modalités.
Les modalités de l’exit pour la Fed
Le quantitative easing a consisté pour les banques centrales des pays développés à élargir la base monétaire en fournissant aux banques des liquidités par achat de titres ou l’octroi de prêts. La sortie du quantitative easing (QE) signifie que l’on vise à terme le retour à la taille « normale » du bilan de la banque centrale et à la politique conventionnelle de taux d’intérêt. Pour ce faire, la banque centrale doit céder les titres qu’elle a achetés et les prêts qu’elle a octroyés. La sortie est plus ou moins difficile selon la réduction nécessaire de la taille du bilan, mais aussi selon qu’il est constitué de titres ou de prêts.
Dans le cas des prêts, la sortie se fait de façon a priori rapide et simple : octroyés aux banques pour une période généralement assez courte, il suffit de ne pas les reconduire pour que le bilan de la banque centrale retrouve sa taille « normale ». En 2006, le Japon a mis fin à sa politique d’assouplissement quantitatif engagée en 2001 de cette manière. Dans le cas de la Fed, la situation s’annonce plus compliquée : la banque centrale américaine a quadruplé la taille de son bilan (qui aujourd’hui s’élève à environ 4 trillions de dollars) en achetant des titres [1].
Le calendrier exact de la sortie du QE américain dépendra des conditions économiques aux États-Unis. En juin 2013, alors que les perspectives macroéconomiques s’amélioraient, Ben Bernanke a annoncé une sortie en plusieurs étapes. Le ralentissement progressif des achats de titres par la banque centrale (tapering), en constitue le premier stade. Celui-ci s’est concrétisé dès décembre 2013 : alors qu’avant décembre, la Fed achetait 85 milliards de dollars de titres par mois, elle a annoncé un premier ralentissement à 75 milliards de dollars par mois. En janvier 2014, la Fed a annoncé un second ralentissement à 65 milliards de dollars par mois.
Une seconde étape devrait suivre à partir de mi-2014 selon les analystes. Elle constituerait en l’arrêt des achats supplémentaires de titres et au maintien de la taille du bilan de la banque centrale à un niveau constant via le réinvestissement dans de nouveaux titres des sommes reçues pour les titres qui arrivent à maturité.
Lors de l’étape finale, qui devrait être mise en place en même temps ou un peu avant l’augmentation des taux d’intérêt (prévue par les analystes pour mi-2015), la Fed arrêtera le réinvestissement dans les nouveaux titres et laissera ceux à son actif arriver à maturité afin que le bilan diminue « naturellement », à moins qu’au vu de l’amélioration des conditions économiques, elle s’en défasse avant. Lorsqu’elle relèvera son taux directeur, elle devra, afin de maintenir le taux au jour le jour à un niveau souhaité, augmenter la rémunération des réserves pour que les banques ne les injectent pas sur le marché interbancaire.
La sortie du QE pose des défis autant pour les États-Unis que pour le reste du monde
Aux États-Unis, si les achats de titres ont contribué à la baisse des taux longs et à l’augmentation des indices boursiers, les nouvelles concernant l’arrêt de ces achats, voire les ventes, pourraient provoquer le mouvement inverse. La seule mention du mot tapering par Ben Bernanke, le 22 mai 2013, a provoqué une augmentation soudaine des taux longs et une baisse des indices boursiers non seulement aux États-Unis, mais aussi à l’étranger. Ainsi, une sortie précipitée pourrait perturber les marchés, augmenter la volatilité des prix des titres et risquer d’anéantir la reprise.
Un autre défi lié à la sortie du QE pourrait concerner les éventuelles pertes de la Fed, notamment si celle-ci décidait de vendre les titres adossés à des hypothèques (MBS), alors que la remontée des taux aurait fait baisser leurs prix. La rémunération des réserves serait également plus coûteuse si les taux augmentent. Ainsi, les fonds que la Fed transmet au Trésor seraient diminués et des pressions politiques pourraient s’exercer sur la banque centrale afin qu’elle ralentisse le processus de sortie du QE (augmentation des taux d’intérêt plus tardive, maintien des titres jusqu’à l’échéance plutôt que vente).
En revanche, une sortie trop graduelle, c’est-à-dire des conditions monétaires trop longtemps laxistes, pourrait favoriser la formation de bulles. On se souvient du discours de Ben Bernanke en 2004, sous l’ère Greenspan, sur les avantages d’un resserrement « graduel » de la politique monétaire. Tandis qu’il mentionnait l’inflation comme un risque du « gradualisme », la formation de bulles était absente de son discours. C’est pourtant ce risque-là qui s’est réalisé : les bulles immobilières et d’actifs, alimentées par des conditions monétaires très souples, ont éclaté en 2007, provoquant la crise mondiale la plus grave depuis la Grande Dépression.
Les répercussions internationales de la sortie du QE sont aussi de taille. La Fed a créé une liquidité abondante et très peu chère qui a augmenté l’appétit pour le risque des investisseurs américains. Ceux-ci ont investi une partie des liquidités offertes par la Fed dans les pays étrangers, surtout les pays émergents – Brésil, Inde, Turquie… – où les taux de rendement étaient supérieurs. Cela a contribué à l’appréciation des monnaies locales et a permis de couvrir les déficits de la balance courante de ces pays. Ces flux de capitaux, principalement de court terme, sont susceptibles de s’inverser après la sortie du QE. La fin de la liquidité peu chère et la sortie soudaine des capitaux étrangers qui peut s’en suivre, menacent la valeur des monnaies locales.
Ces enjeux montrent clairement que la sortie du QE n’est pas un exercice aisé : même préparée, les conséquences sont difficiles à maîtriser. Quoi qu’il en soit, le processus sera long. Une étude réalisée par des économistes de la Fed estime que la composition du bilan de la banque centrale américaine ne sera pas pleinement normalisée avant 2025.
Références :
Discours de Ben Bernanke , « Gradualisme », Seattle, 2004.
“Monetary policy in exceptional times”, billet du blog du CEPII, le 31 janvier 2013, par Urszula Szczerbowicz.
Carpenter, Seth B. and Ihrig, Jane E. and Klee, Elizabeth and Boote, Alexander H. and Quinn, Daniel W. (2013), “The Federal Reserve's Balance Sheet: A Primer and Projections”. Finance and Economics Discussion Series 2013-01, Board of Governors of the Federal Reserve System (U.S.).
Les modalités de l’exit pour la Fed
Le quantitative easing a consisté pour les banques centrales des pays développés à élargir la base monétaire en fournissant aux banques des liquidités par achat de titres ou l’octroi de prêts. La sortie du quantitative easing (QE) signifie que l’on vise à terme le retour à la taille « normale » du bilan de la banque centrale et à la politique conventionnelle de taux d’intérêt. Pour ce faire, la banque centrale doit céder les titres qu’elle a achetés et les prêts qu’elle a octroyés. La sortie est plus ou moins difficile selon la réduction nécessaire de la taille du bilan, mais aussi selon qu’il est constitué de titres ou de prêts.
Dans le cas des prêts, la sortie se fait de façon a priori rapide et simple : octroyés aux banques pour une période généralement assez courte, il suffit de ne pas les reconduire pour que le bilan de la banque centrale retrouve sa taille « normale ». En 2006, le Japon a mis fin à sa politique d’assouplissement quantitatif engagée en 2001 de cette manière. Dans le cas de la Fed, la situation s’annonce plus compliquée : la banque centrale américaine a quadruplé la taille de son bilan (qui aujourd’hui s’élève à environ 4 trillions de dollars) en achetant des titres [1].
Le calendrier exact de la sortie du QE américain dépendra des conditions économiques aux États-Unis. En juin 2013, alors que les perspectives macroéconomiques s’amélioraient, Ben Bernanke a annoncé une sortie en plusieurs étapes. Le ralentissement progressif des achats de titres par la banque centrale (tapering), en constitue le premier stade. Celui-ci s’est concrétisé dès décembre 2013 : alors qu’avant décembre, la Fed achetait 85 milliards de dollars de titres par mois, elle a annoncé un premier ralentissement à 75 milliards de dollars par mois. En janvier 2014, la Fed a annoncé un second ralentissement à 65 milliards de dollars par mois.
Une seconde étape devrait suivre à partir de mi-2014 selon les analystes. Elle constituerait en l’arrêt des achats supplémentaires de titres et au maintien de la taille du bilan de la banque centrale à un niveau constant via le réinvestissement dans de nouveaux titres des sommes reçues pour les titres qui arrivent à maturité.
Lors de l’étape finale, qui devrait être mise en place en même temps ou un peu avant l’augmentation des taux d’intérêt (prévue par les analystes pour mi-2015), la Fed arrêtera le réinvestissement dans les nouveaux titres et laissera ceux à son actif arriver à maturité afin que le bilan diminue « naturellement », à moins qu’au vu de l’amélioration des conditions économiques, elle s’en défasse avant. Lorsqu’elle relèvera son taux directeur, elle devra, afin de maintenir le taux au jour le jour à un niveau souhaité, augmenter la rémunération des réserves pour que les banques ne les injectent pas sur le marché interbancaire.
La sortie du QE pose des défis autant pour les États-Unis que pour le reste du monde
Aux États-Unis, si les achats de titres ont contribué à la baisse des taux longs et à l’augmentation des indices boursiers, les nouvelles concernant l’arrêt de ces achats, voire les ventes, pourraient provoquer le mouvement inverse. La seule mention du mot tapering par Ben Bernanke, le 22 mai 2013, a provoqué une augmentation soudaine des taux longs et une baisse des indices boursiers non seulement aux États-Unis, mais aussi à l’étranger. Ainsi, une sortie précipitée pourrait perturber les marchés, augmenter la volatilité des prix des titres et risquer d’anéantir la reprise.
Un autre défi lié à la sortie du QE pourrait concerner les éventuelles pertes de la Fed, notamment si celle-ci décidait de vendre les titres adossés à des hypothèques (MBS), alors que la remontée des taux aurait fait baisser leurs prix. La rémunération des réserves serait également plus coûteuse si les taux augmentent. Ainsi, les fonds que la Fed transmet au Trésor seraient diminués et des pressions politiques pourraient s’exercer sur la banque centrale afin qu’elle ralentisse le processus de sortie du QE (augmentation des taux d’intérêt plus tardive, maintien des titres jusqu’à l’échéance plutôt que vente).
En revanche, une sortie trop graduelle, c’est-à-dire des conditions monétaires trop longtemps laxistes, pourrait favoriser la formation de bulles. On se souvient du discours de Ben Bernanke en 2004, sous l’ère Greenspan, sur les avantages d’un resserrement « graduel » de la politique monétaire. Tandis qu’il mentionnait l’inflation comme un risque du « gradualisme », la formation de bulles était absente de son discours. C’est pourtant ce risque-là qui s’est réalisé : les bulles immobilières et d’actifs, alimentées par des conditions monétaires très souples, ont éclaté en 2007, provoquant la crise mondiale la plus grave depuis la Grande Dépression.
Les répercussions internationales de la sortie du QE sont aussi de taille. La Fed a créé une liquidité abondante et très peu chère qui a augmenté l’appétit pour le risque des investisseurs américains. Ceux-ci ont investi une partie des liquidités offertes par la Fed dans les pays étrangers, surtout les pays émergents – Brésil, Inde, Turquie… – où les taux de rendement étaient supérieurs. Cela a contribué à l’appréciation des monnaies locales et a permis de couvrir les déficits de la balance courante de ces pays. Ces flux de capitaux, principalement de court terme, sont susceptibles de s’inverser après la sortie du QE. La fin de la liquidité peu chère et la sortie soudaine des capitaux étrangers qui peut s’en suivre, menacent la valeur des monnaies locales.
Ces enjeux montrent clairement que la sortie du QE n’est pas un exercice aisé : même préparée, les conséquences sont difficiles à maîtriser. Quoi qu’il en soit, le processus sera long. Une étude réalisée par des économistes de la Fed estime que la composition du bilan de la banque centrale américaine ne sera pas pleinement normalisée avant 2025.
Références :
Discours de Ben Bernanke , « Gradualisme », Seattle, 2004.
“Monetary policy in exceptional times”, billet du blog du CEPII, le 31 janvier 2013, par Urszula Szczerbowicz.
Carpenter, Seth B. and Ihrig, Jane E. and Klee, Elizabeth and Boote, Alexander H. and Quinn, Daniel W. (2013), “The Federal Reserve's Balance Sheet: A Primer and Projections”. Finance and Economics Discussion Series 2013-01, Board of Governors of the Federal Reserve System (U.S.).
[1] A titre de comparaison, le montant des titres souverains achetés par la BCE s’élève à environ 200 milliards d’euro et les prêts accordés aux banques dans le cadre de LTRO 1 et 2 à 1 trillion d’euros.