« L’effort national de R&D stagne en France », surtout en France
La Cour des comptes constate que « l’effort national de recherche et développement (R&D) stagne en France » dans un récent rapport. Cette stagnation est malheureusement surtout française, avec des conséquences lourdes sur la croissance de long terme.
Par Fabien Tripier
La stagnation de l’effort de R&D de la France est particulièrement préoccupante compte tenu des bénéfices sociaux de cette activité, du caractère durable de cette stagnation et de ses répercussions sur la croissance de long terme.
Les bénéfices sociaux de la R&D excèdent les bénéfices privés.
Le rapport sur « Le financement public de la recherche en France, un enjeu national » de la Cour des comptes (juin 2013) souligne la faiblesse de la R&D des entreprises. Les activités de R&D créent des bénéfices pour les entreprises par l’exploitation commerciale des nouveaux procédés et produits, mais également pour d’autres membres de la société, à commencer par les autres entreprises qui vont pouvoir développer de nouveaux projets de R&D à partir de ces dernières découvertes. Les bénéfices sociaux de la R&D, c’est-à-dire pour la collectivité dans son ensemble, excèdent les bénéfices privés qu’elle génère. L’intervention des autorités publiques pour soutenir et encourager l’effort privé de R&D est donc légitime et nécessaire.
L’effort de R&D de la France est durablement inférieur à celui des Etats-Unis.
Conscient de l’utilité de l’intervention publique dans ce domaine, les autorités publiques se sont donnés l’objectif ambitieux de porter les dépenses de R&D à un montant représentant 3% du PIB tant au niveau de l’Union Européenne que de la France. Cet objectif défini d’abord en 2000 lors de l’adoption de la stratégie de Lisbonne par le Conseil Européen a été repris par la Commission Européenne en 2010 dans son programme « Europe 2020 ».
Le fait que cet objectif, non réalisé en 2010, ait été renouvelé dans les mêmes termes (3%) est une preuve d’un volontarisme qui pourrait susciter un certain optimisme pour la suite. Ce qui l’est moins est l’exceptionnelle inertie de dépenses de R&D. Le problème n’est pas une stagnation des efforts de R&D en ces années de crise, mais celui d’une stagnation au cours des deux dernières décennies. L’effort de R&D des Etats-Unis se situe de manière durable au dessus de celui de la France (2,62% contre 2,18% en moyenne sur la période 1980-2009) [1]. Après une réduction sensible de l’écart au cours des années 1980, l’effort de R&D faiblit en France depuis le début des années 1990 alors qu’il progresse aux Etats-Unis (cf. Figure 1). L’Allemagne a connu des variations plus fortes dans les années 1980-1990, notamment dans le contexte de la réunification, mais elle s’est finalement rapprochée des Etats-Unis au cours des années 2000, contrairement à la France.
En matière de croissance économique, des petites différences ont de grandes conséquences.
Les dépenses de R&D impactent directement la croissance économique par les gains de productivité qu’elles génèrent. Or, en matière de croissance, de petites différences ont de grandes conséquences macroéconomiques parce qu’elles se cumulent sur plusieurs années, voire plusieurs décennies. L’enjeu ici n’est pas de savoir si les dépenses de R&D pourraient stimuler la croissance ralentie par la crise actuelle. La question porte sur la croissance de long terme que l’économie française peut espérer atteindre si l’on se projette au-delà de la crise actuelle. La croissance moyenne du PIB réel par habitant est de 1,28% en France sur la période 1980-2012 contre 1,68% aux Etats-Unis et 1,66% en Allemagne (ces différences de taux de croissance ne doivent naturellement pas être mécaniquement attribuées aux différences observés de dépenses de R&D). Ces écarts de croissance ont des effets cumulatifs très importants sur les écarts de richesse (cf. Figure 2). Au-delà de cette mesure de la richesse, la question de la croissance de long terme est essentielle pour l’ensemble des équilibres macroéconomiques. Elle constitue un paramètre clef pour l’évaluation des scénarios d’équilibrage des finances publiques et de retour vers des taux de chômage durablement plus faibles. C’est le cas, par exemple, des projections du Conseil d’Orientation des Retraites où, là encore, des petits écarts sur le taux de croissance retenu a de grandes conséquences sur l’ampleur des ajustements à réaliser [2].
La R&D n’est naturellement pas à elle seule la solution aux problèmes d’emploi et de croissance de l’économie française. Mais ces quelques pourcentages de dépenses de R&D qui manquent chaque année, parce qu’ils participeraient à la croissance et se cumuleraient dans le temps, font aujourd’hui cruellement défaut à l’économie française pour faire face à la crise et rendront certainement plus longue et socialement plus coûteuse la sortie de crise.
Pour aller plus loin :
Eurostat propose un portail permettant de suivre les évolutions des indicateurs du programme « Europe 2020 » http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/europe_2020_indicators/headline_indicators
R. Griffith, S. Redding et J. Van Reenen ont montré les importants effets de la R&D sur la productivité totale des facteurs de production dans leur étude « Mapping the Two Faces of R&D: Productivity Growth in a Panel of OECD Industries », publiée dans la Review of Economic and Statistics (2004).
Des mesures des dépenses souhaitables de R&D, tenant compte de leurs bénéfices sociaux, sont proposées dans C. Jones & J.C. Williams (2000) « Too Much of a Good Thing? The Economics of Investment in R&D » Journal of Economic Growth 5(1) et F. Tripier (2008) « Croissance optimale fondée sur la R&D : Combien pour la recherche et combien pour le développement ? » Annales d'Economie et de Statistique (90).
Les bénéfices sociaux de la R&D excèdent les bénéfices privés.
Le rapport sur « Le financement public de la recherche en France, un enjeu national » de la Cour des comptes (juin 2013) souligne la faiblesse de la R&D des entreprises. Les activités de R&D créent des bénéfices pour les entreprises par l’exploitation commerciale des nouveaux procédés et produits, mais également pour d’autres membres de la société, à commencer par les autres entreprises qui vont pouvoir développer de nouveaux projets de R&D à partir de ces dernières découvertes. Les bénéfices sociaux de la R&D, c’est-à-dire pour la collectivité dans son ensemble, excèdent les bénéfices privés qu’elle génère. L’intervention des autorités publiques pour soutenir et encourager l’effort privé de R&D est donc légitime et nécessaire.
L’effort de R&D de la France est durablement inférieur à celui des Etats-Unis.
Conscient de l’utilité de l’intervention publique dans ce domaine, les autorités publiques se sont donnés l’objectif ambitieux de porter les dépenses de R&D à un montant représentant 3% du PIB tant au niveau de l’Union Européenne que de la France. Cet objectif défini d’abord en 2000 lors de l’adoption de la stratégie de Lisbonne par le Conseil Européen a été repris par la Commission Européenne en 2010 dans son programme « Europe 2020 ».
Le fait que cet objectif, non réalisé en 2010, ait été renouvelé dans les mêmes termes (3%) est une preuve d’un volontarisme qui pourrait susciter un certain optimisme pour la suite. Ce qui l’est moins est l’exceptionnelle inertie de dépenses de R&D. Le problème n’est pas une stagnation des efforts de R&D en ces années de crise, mais celui d’une stagnation au cours des deux dernières décennies. L’effort de R&D des Etats-Unis se situe de manière durable au dessus de celui de la France (2,62% contre 2,18% en moyenne sur la période 1980-2009) [1]. Après une réduction sensible de l’écart au cours des années 1980, l’effort de R&D faiblit en France depuis le début des années 1990 alors qu’il progresse aux Etats-Unis (cf. Figure 1). L’Allemagne a connu des variations plus fortes dans les années 1980-1990, notamment dans le contexte de la réunification, mais elle s’est finalement rapprochée des Etats-Unis au cours des années 2000, contrairement à la France.
En matière de croissance économique, des petites différences ont de grandes conséquences.
Les dépenses de R&D impactent directement la croissance économique par les gains de productivité qu’elles génèrent. Or, en matière de croissance, de petites différences ont de grandes conséquences macroéconomiques parce qu’elles se cumulent sur plusieurs années, voire plusieurs décennies. L’enjeu ici n’est pas de savoir si les dépenses de R&D pourraient stimuler la croissance ralentie par la crise actuelle. La question porte sur la croissance de long terme que l’économie française peut espérer atteindre si l’on se projette au-delà de la crise actuelle. La croissance moyenne du PIB réel par habitant est de 1,28% en France sur la période 1980-2012 contre 1,68% aux Etats-Unis et 1,66% en Allemagne (ces différences de taux de croissance ne doivent naturellement pas être mécaniquement attribuées aux différences observés de dépenses de R&D). Ces écarts de croissance ont des effets cumulatifs très importants sur les écarts de richesse (cf. Figure 2). Au-delà de cette mesure de la richesse, la question de la croissance de long terme est essentielle pour l’ensemble des équilibres macroéconomiques. Elle constitue un paramètre clef pour l’évaluation des scénarios d’équilibrage des finances publiques et de retour vers des taux de chômage durablement plus faibles. C’est le cas, par exemple, des projections du Conseil d’Orientation des Retraites où, là encore, des petits écarts sur le taux de croissance retenu a de grandes conséquences sur l’ampleur des ajustements à réaliser [2].
La R&D n’est naturellement pas à elle seule la solution aux problèmes d’emploi et de croissance de l’économie française. Mais ces quelques pourcentages de dépenses de R&D qui manquent chaque année, parce qu’ils participeraient à la croissance et se cumuleraient dans le temps, font aujourd’hui cruellement défaut à l’économie française pour faire face à la crise et rendront certainement plus longue et socialement plus coûteuse la sortie de crise.
Pour aller plus loin :
Eurostat propose un portail permettant de suivre les évolutions des indicateurs du programme « Europe 2020 » http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/europe_2020_indicators/headline_indicators
R. Griffith, S. Redding et J. Van Reenen ont montré les importants effets de la R&D sur la productivité totale des facteurs de production dans leur étude « Mapping the Two Faces of R&D: Productivity Growth in a Panel of OECD Industries », publiée dans la Review of Economic and Statistics (2004).
Des mesures des dépenses souhaitables de R&D, tenant compte de leurs bénéfices sociaux, sont proposées dans C. Jones & J.C. Williams (2000) « Too Much of a Good Thing? The Economics of Investment in R&D » Journal of Economic Growth 5(1) et F. Tripier (2008) « Croissance optimale fondée sur la R&D : Combien pour la recherche et combien pour le développement ? » Annales d'Economie et de Statistique (90).
Source : OECD, Main Science and Technology Indicators (2011/1), reproduced in “Chapter 4. R&D: National Trends and International Comparisons”, Science and Engineering Indicators (2012) National Science Foundation. http://www.nsf.gov/statistics/seind12/c4/c4s8.htm.
Source : OECD, Par tête, $ É-U, prix constants, PPA constantes, année de base 2005. http://stats.oecd.org/
[1] Au sein de l’Union Européenne, seuls le Danemark, la Suède et la Suède dépassent le seuil des 3%. L’effort de R&D moyen pour les 27 pays de l’UE est encore plus faible qu’en France (2,03% contre 2,25% pour l’année 2011). Source : Eurostat.
[2] Le solde financier du système financier de retraite serait excédentaire à l’horizon 2060 avec une croissance de la productivité moyenne de 1.8% par an, mais toujours déficitaire avec une croissance de 1.5% selon le 11ème rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (2012, p.42).