Les monnaies parallèles sont-elles la solution ?
La récente bulle spéculative sur les Bitcoins et les réflexions sur l’introduction de monnaies parallèles officielles dans les pays de la zone Euro incitent à la prudence
Par Christophe Destais
La tentation de créer des monnaies parallèles est permanente et d’autant plus forte que la défiance à l’égard des monnaies officielles augmente. Cette solution est tentante pour s’affranchir des monnaies officielles qui peuvent être perçues soit comme un carcan qui restreint excessivement les transactions ou qui rend ces dernières excessivement coûteuses, soit au contraire être émises dans de telles quantités qu’elles perdent leur valeur.
Le Bitcoin est l’œuvre de développeurs mais l’initiateur reste mystérieux. Cette monnaie numérique s’obtiendrait au travers de la mise à disposition de ressources informatiques personnelles pour des projets collectifs. Elle peut ensuite être vendue ou achetée à ses détenteurs sur des plateformes informatiques spécialisées et utilisées dans des transactions commerciales (apparemment illégales dans certains cas) lorsque les deux parties l’acceptent. Le Bitcoin est aussi un système de paiements basé et –en théorie au moins- sécurisé par la technologie du peer to peer qui est utilisée pour les paiements effectués dans cette monnaie. Le fait que seule une quantité finie de Bitcoins aurait été émise a attiré les spéculateurs qui se sont précipités pour investir dans ces nouveaux supports dès que l’expérience a commencé à avoir une certaine notoriété. Le taux de change du Bitcoin en dollar s’est envolé début mars. Il a ensuite baissé fortement sans toutefois revenir à son niveau d’origine.
Comme Skype en son temps et avec une technologie voisine, le Bitcoin est une expérience technologique intéressante. Elle pourrait inspirer une évolution des moyens des paiements électroniques qu’elle facilite grandement. Elle pourrait fragiliser les situations acquises des grands émetteurs de carte de paiements comme la voix sur Internet (VOIP) a contribué à réduire la rente des opérateurs historiques.
La démarche est moins convaincante sur le plan monétaire. D’une part, un problème de confiance se pose. L’absence de contrôles sur l’émetteur et sur les transactions suscite le doute. Les autorités sont à tout moment susceptibles d’intervenir pour réguler cette activité normalement régalienne. Par ailleurs et surtout, cette monnaie ne s’appuie sur rien. Elle n’a pas de sous-jacent. Encore moins que celle créée en France au début du 18ème siècle par le banquier écossais John Law qui se fondait sur le monopole du commerce avec les colonies et les contrées lointaines et qui, malgré cela, conduisit à une retentissante faillite, non sans avoir réglé le problème d’une partie de la dette publique héritée de Louis XIV.
Le Bitcoin n’est qu’un des derniers avatars d’un mouvement de création de monnaies parallèles. Ces dernières sont souvent d’inspiration libertaire ou libérale-libertaire. Il s’agit pour leurs initiateurs de refuser ce qu’ils perçoivent comme le carcan du système économique et, en particulier, du capitalisme financier tout en facilitant les échanges entre individus, au niveau local. Ces « monnaies » peuvent servir d’unité de compte sur des bourses d’échange entre individus qui n’ont pas ou peu accès aux monnaies officielles et faciliter ainsi la réalisation d’échanges supplémentaires, par exemples des échanges entre petits producteurs et consommateurs locaux ou des échanges de services entre individus. Toutefois, le développement des monnaies parallèle se heurte à de nombreux obstacles. Leur pouvoir libératoire d’une dette (fonction essentielle de la monnaie) est limité à un cercle restreint de celles ou ceux qui l’acceptent. Surtout, leur émission n’étant pas contrôlée par une autorité solvable, dotée d’un pouvoir exécutoire –notamment celui de lever l’impôt-, elles ne peuvent servir durablement de réserve de valeur.
Ces monnaies parallèles bénéficient cependant d’un regain d’attrait dans les périodes de crise monétaire, lorsque le blocage du système financier crée une pénurie de crédits ou que l’on se défie de la monnaie officielle. Les mois qui avaient précédé la crise argentine de 2001 et l’abandon du taux de change fixe entre le peso argentin et le dollar avaient ainsi vu une floraison de monnaies parallèles locales comme les « patacones » qui ont ensuite disparu.
La crise dans les états d’Europe du sud, le fait qu’ils sont dénués du pouvoir de création monétaire et la fuite des capitaux privés créent une situation propice à l’introduction de monnaies parallèles dans la zone Euro.
Dans un article récent, un économiste espagnol et deux financiers reviennent sur cette idée et pensent avoir trouvé la clé. Ils proposent l’introduction d’une monnaie « parallèle mais officielle ». Les banques centrales des pays concernés, par exemple la Grèce, émettraient une nouvelle monnaie, par exemple le Drachme, et garantiraient simultanément aux détenteurs de créances en Euros à long terme (principalement les banques) la différence entre les paiements qu’ils percevraient des résidents dans la nouvelle monnaie locale et l’Euro. Cette garantie prendrait la forme d’une émission d’obligations de la banque centrale qui serait inscrite à l’actif des banques, les débiteurs n’ayant à rembourser leur dette que dans la nouvelle monnaie dans laquelle serait donc libellée les dépôts. L’ensemble des nouveaux contrats serait rédigé dans la monnaie parallèle et la nouvelle monnaie pourrait se substituer dans les contrats courants en vigueur. Cette initiative équivaudrait donc à une dévaluation à ceci près que les banques seraient dédommagées de la perte de valeur de leur créances.
La banque centrale gèrerait la monnaie parallèle en fixant des objectifs de dévaluation par rapport à l’Euro avec des outils classiques de gestion de l’offre de monnaie. Les auteurs ne précisent pas quel pourrait-être le scénario de retour à l’Euro, ils se contentent de dire qu’il devrait être anticipé et organisé avec précision. On peut présumer qu’une fois le taux de change entre la nouvelle monnaie parallèle et l’Euro stabilisé, il n’y aurait plus d’obstacle à ce que le pays retourne complètement dans la zone Euro au nouveau taux de change entre sa monnaie locale et l’Euro.
Ce scénario a peu de chance de se dérouler avec la facilité et la sérénité décrites par les auteurs. Il poserait de nombreux problèmes techniques de mise en œuvre, de crédibilité des engagements et, sans doute, de maîtrise de l’inflation. Des mouvements de fuite des actifs financiers avant et même après la dévaluation se produiraient presqu’immanquablement.
Les monnaies parallèles restent des utopies.
Le Bitcoin est l’œuvre de développeurs mais l’initiateur reste mystérieux. Cette monnaie numérique s’obtiendrait au travers de la mise à disposition de ressources informatiques personnelles pour des projets collectifs. Elle peut ensuite être vendue ou achetée à ses détenteurs sur des plateformes informatiques spécialisées et utilisées dans des transactions commerciales (apparemment illégales dans certains cas) lorsque les deux parties l’acceptent. Le Bitcoin est aussi un système de paiements basé et –en théorie au moins- sécurisé par la technologie du peer to peer qui est utilisée pour les paiements effectués dans cette monnaie. Le fait que seule une quantité finie de Bitcoins aurait été émise a attiré les spéculateurs qui se sont précipités pour investir dans ces nouveaux supports dès que l’expérience a commencé à avoir une certaine notoriété. Le taux de change du Bitcoin en dollar s’est envolé début mars. Il a ensuite baissé fortement sans toutefois revenir à son niveau d’origine.
Comme Skype en son temps et avec une technologie voisine, le Bitcoin est une expérience technologique intéressante. Elle pourrait inspirer une évolution des moyens des paiements électroniques qu’elle facilite grandement. Elle pourrait fragiliser les situations acquises des grands émetteurs de carte de paiements comme la voix sur Internet (VOIP) a contribué à réduire la rente des opérateurs historiques.
La démarche est moins convaincante sur le plan monétaire. D’une part, un problème de confiance se pose. L’absence de contrôles sur l’émetteur et sur les transactions suscite le doute. Les autorités sont à tout moment susceptibles d’intervenir pour réguler cette activité normalement régalienne. Par ailleurs et surtout, cette monnaie ne s’appuie sur rien. Elle n’a pas de sous-jacent. Encore moins que celle créée en France au début du 18ème siècle par le banquier écossais John Law qui se fondait sur le monopole du commerce avec les colonies et les contrées lointaines et qui, malgré cela, conduisit à une retentissante faillite, non sans avoir réglé le problème d’une partie de la dette publique héritée de Louis XIV.
Le Bitcoin n’est qu’un des derniers avatars d’un mouvement de création de monnaies parallèles. Ces dernières sont souvent d’inspiration libertaire ou libérale-libertaire. Il s’agit pour leurs initiateurs de refuser ce qu’ils perçoivent comme le carcan du système économique et, en particulier, du capitalisme financier tout en facilitant les échanges entre individus, au niveau local. Ces « monnaies » peuvent servir d’unité de compte sur des bourses d’échange entre individus qui n’ont pas ou peu accès aux monnaies officielles et faciliter ainsi la réalisation d’échanges supplémentaires, par exemples des échanges entre petits producteurs et consommateurs locaux ou des échanges de services entre individus. Toutefois, le développement des monnaies parallèle se heurte à de nombreux obstacles. Leur pouvoir libératoire d’une dette (fonction essentielle de la monnaie) est limité à un cercle restreint de celles ou ceux qui l’acceptent. Surtout, leur émission n’étant pas contrôlée par une autorité solvable, dotée d’un pouvoir exécutoire –notamment celui de lever l’impôt-, elles ne peuvent servir durablement de réserve de valeur.
Ces monnaies parallèles bénéficient cependant d’un regain d’attrait dans les périodes de crise monétaire, lorsque le blocage du système financier crée une pénurie de crédits ou que l’on se défie de la monnaie officielle. Les mois qui avaient précédé la crise argentine de 2001 et l’abandon du taux de change fixe entre le peso argentin et le dollar avaient ainsi vu une floraison de monnaies parallèles locales comme les « patacones » qui ont ensuite disparu.
La crise dans les états d’Europe du sud, le fait qu’ils sont dénués du pouvoir de création monétaire et la fuite des capitaux privés créent une situation propice à l’introduction de monnaies parallèles dans la zone Euro.
Dans un article récent, un économiste espagnol et deux financiers reviennent sur cette idée et pensent avoir trouvé la clé. Ils proposent l’introduction d’une monnaie « parallèle mais officielle ». Les banques centrales des pays concernés, par exemple la Grèce, émettraient une nouvelle monnaie, par exemple le Drachme, et garantiraient simultanément aux détenteurs de créances en Euros à long terme (principalement les banques) la différence entre les paiements qu’ils percevraient des résidents dans la nouvelle monnaie locale et l’Euro. Cette garantie prendrait la forme d’une émission d’obligations de la banque centrale qui serait inscrite à l’actif des banques, les débiteurs n’ayant à rembourser leur dette que dans la nouvelle monnaie dans laquelle serait donc libellée les dépôts. L’ensemble des nouveaux contrats serait rédigé dans la monnaie parallèle et la nouvelle monnaie pourrait se substituer dans les contrats courants en vigueur. Cette initiative équivaudrait donc à une dévaluation à ceci près que les banques seraient dédommagées de la perte de valeur de leur créances.
La banque centrale gèrerait la monnaie parallèle en fixant des objectifs de dévaluation par rapport à l’Euro avec des outils classiques de gestion de l’offre de monnaie. Les auteurs ne précisent pas quel pourrait-être le scénario de retour à l’Euro, ils se contentent de dire qu’il devrait être anticipé et organisé avec précision. On peut présumer qu’une fois le taux de change entre la nouvelle monnaie parallèle et l’Euro stabilisé, il n’y aurait plus d’obstacle à ce que le pays retourne complètement dans la zone Euro au nouveau taux de change entre sa monnaie locale et l’Euro.
Ce scénario a peu de chance de se dérouler avec la facilité et la sérénité décrites par les auteurs. Il poserait de nombreux problèmes techniques de mise en œuvre, de crédibilité des engagements et, sans doute, de maîtrise de l’inflation. Des mouvements de fuite des actifs financiers avant et même après la dévaluation se produiraient presqu’immanquablement.
Les monnaies parallèles restent des utopies.