Le blog du CEPII

Une spécificité française : le non-éclatement de la bulle immobilière

En réaction à la spectaculaire hausse des prix de l'immobilier en France, le gouvernement projette la construction de 500 000 logements par an. Pourtant, force est de constater que ce boom de l’immobilier ne provient pas tant de l’évolution des fondamentaux que d'un phénomène de bulle.
Par Thomas Grjebine
 Faits & Chiffres du 22 novembre 2012


La France est touchée depuis quelques années par une crise du logement, une crise du logement « cher ». La pénurie de logements est souvent mise en avant pour expliquer cette crise et la spectaculaire hausse des prix de l’immobilier en France depuis une quinzaine d’années. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault affiche à ce titre un objectif ambitieux de réalisation de 500 000 logements par an (à travers notamment des mesures visant à faciliter la mise à disposition du foncier public ou en augmentant l’offre en renforçant la législation sur les logements vacants). Un tel constat ne va pourtant pas de soi.

Les ordres de grandeur du boom immobilier français sont connus. De 1997 à début 2012, les prix ont augmenté en France de 125% en termes réels. Si la hausse a été la plus spectaculaire à Paris, les prix ont plus que doublé sur l’ensemble du territoire métropolitain. Ce qui est plus frappant en revanche est la similitude des tendances que l’on peut observer depuis une trentaine d’années dans plusieurs pays. Comme le souligne le graphique 1, les évolutions des prix de l’immobilier en France, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis ou en Espagne sont étonnamment similaires depuis le début des années 1980. La spectaculaire hausse des prix des années 1990 a été en particulier d’une ampleur assez comparable dans ces 4 pays (85% de hausse aux Etats-Unis, 110% en Espagne, 168% au Royaume-Uni sur la période 1997-2007). Seule divergence frappante : seule la France n’a pas connu avec la crise actuelle de krach immobilier. Si les prix ont légèrement baissé au niveau français en 2008 et 2009, la hausse des prix a repris rapidement. En 2012, la baisse du nombre de transactions n’a pas non plus provoqué un effondrement des prix (ce nombre a baissé de près de 4% de juillet 2011 à juin 2012 par rapport aux transactions conclues d’avril 2011 à mars 2012, INSEE [2012]). En termes nominaux, depuis le début de l’année 2012, les prix n’auraient baissé en France que de 0,53%, alors même qu’ils auraient augmenté de près de 2% à Paris sur la même période [INSEE, 2012]. Ces chiffres sont à comparer à la baisse de 35% aux Etats-Unis entre le pic de juillet 2006 et début 2012 (Indice Case-Shiller) ou à la baisse de 31% en Espagne entre décembre 2007 et juillet 2012 (Indice TINSA IMIE). La baisse a été plus faible au Royaume-Uni sur la période 2007-2012 (-11%). Les prix y avaient baissé de 19% entre 2007 et 2009 mais ils ont remonté par la suite (Indice Nationwide).

Comment expliquer cette spécificité française ? L’une des causes souvent avancées pour expliquer le boom français et le non-retournement du cycle est la « pénurie de logement ». Contrairement à l’Espagne par exemple qui a connu un boom très fort de la construction jusqu’en 2007, il y aurait en France un problème d’offre. Un tel constat peut pourtant être fortement remis en cause. La population en France métropolitaine a augmenté de 0,51% par an en moyenne de 1975 à 2010, le nombre de ménages progressant lui de 1,23% par an sur la même période (du fait de la baisse du nombre de personnes par ménage). Pourtant, sur cette même période, l’augmentation de l’offre de logement a suivi l’augmentation du nombre de ménages puisque le nombre de logements a augmenté de 1,26% par an en moyenne de 1975 à 2010 [Jacquot, 2012]. Comme le souligne Alain Jacquot [2011], « La France ne paraît pas faire face à une pénurie particulière de logement au niveau national. Ainsi, c’est en France que le stock de logements rapporté à la population est le plus élevé parmi tous les pays d’Europe de l’Ouest […] D’autre part, les flux de construction restent élevés […] C’est tout au long de la décennie 2000 (et même depuis beaucoup plus longtemps vis-à-vis du Royaume Uni) que la France a construit bien davantage de logements que ses voisins d’outre-Rhin et d’outre-Manche. Cet important flux de constructions neuves ne traduit ainsi en rien un «rattrapage » ». Ce constat dressé au niveau national doit certes être nuancé concernant la situation spécifique de la région Ile-de-France qui connait une crise quantitative du logement [Desjardins, 2011]. Cependant, cette situation spécifique de la région parisienne ne permet pas d’expliquer le boom immobilier que l’on observe sur l’ensemble du territoire français depuis une quinzaine d’années (voir le graphique 1).

Enfin, si la pénurie de logements expliquait le boom des prix immobiliers, elle aurait aussi eu un impact sur le prix des loyers. Or, comme l’indique le graphique 2, la France a connu ces dix dernières années un décrochage important des prix des loyers par rapport aux prix immobiliers (ce constat s’applique également pour la région Ile-de-France). Ce décrochage est l’un des indicateurs de l’existence d’une bulle immobilière en France. En effet, la valeur d’un actif (maison) peut être évaluée comme la somme actualisée de ses rendements futurs (« les fondamentaux »). Or les rendements locatifs –rapport des loyers aux prix– se sont effondrés du fait du décalage grandissant entre le prix et les loyers. Il est intéressant de noter sur le graphique 2 que si tous les pays de notre échantillon ont connu jusqu’à la crise cette même tendance, la divergence entre les prix et les loyers s’est partout réduite depuis lors, à l’exception notable de la France. Pour le dire autrement, seule la France n’a pas connu une explosion de sa « bulle immobilière ». Reste à se demander combien de temps encore la France préservera cette spécificité.
 
Note: des études récentes ont également remis en cause le fait que le boom immobilier français de 2000 à 2010 pouvait s’expliquer par les fondamentaux. Elles tendent à valider l’hypothèse d’une bulle. Voir notamment Friggit [2011] et CAS [2011].

Graphique 1 - Des tendances similaires dans plusieurs pays jusqu’en 2007

 
Graphique 2 - Vers l’éclatement de la bulle immobilière en france ?


Références 

Centre d’Analyse stratégique, « L’évolution du prix des logements en France sur 25 ans », Avril 2011.

INSEE, 2012, http://www.insee.fr/fr/themes/info-rapide.asp?id=96.

Xavier Desjardins, « Une lecture territoriale de la crise du logement en Ile-de-France », Regards croisés sur l’économie, N°9, Mai 2011.

Jacques Friggit, « Quelles perspectives pour le prix des logements après son envolée ? », Regards croisés sur l’économie, N°9, Mai 2011.

Alain Jacquot, « Doit-on et peut-on produire davantage de logements ? », Regards croisés sur l’économie, N°9, Mai 2011.

Alain Jacquot, « La demande potentielle de logements à l’horizon 2030 : une estimation par la croissance attendue du nombre des ménages », SOeS, août 2012.
Politique économique 
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