Persistance de l’inflation : quel rôle pour les profits excessifs des entreprises ?
La persistance de l’inflation depuis 2021 a suscité un débat quant à ses causes. Nous explorons le rôle des profits excessifs des entreprises dans le contexte de la crise énergétique récente. Nos résultats suggèrent que les secteurs les moins concurrentiels ont transmis dans leurs prix de vente plus de 100 % de la hausse de leurs coûts et ainsi contribué à l’inflation.
Par Axelle Arquié, Malte Thie
Billet du 26 juin 2023
En mai 2023, la hausse des prix sur un an atteignait encore 5,1% en France, en dépit de la forte hausse des taux d’intérêt par la BCE. La politique monétaire n’a pas pu entièrement contenir une inflation désormais essentiellement alimentée par le coût des biens importés (énergie, matières premières). Le débat s’est porté, en France mais également aux Etats-Unis sur l’existence d’une boucle prix-profit qui expliquerait la persistance de l’inflation : les entreprises augmenteraient les prix davantage que ne le justifierait l’augmentation réelle de leurs coûts.
Les économistes Isabella Weber et Evan Wasner développent cette hypothèse dans le contexte de la reprise de l’inflation depuis 2021 (Weber & Wasner, 2023)[1]. Selon eux, l’inflation n’aurait pas seulement des origines macroéconomiques, mais pourrait être entretenue par des dynamiques microéconomiques. L’idée est que les firmes faisant face à peu de concurrence augmentent leurs prix lorsqu’elles s’attendent à ce que leurs concurrents fassent de même. Dans ce cas, elles transmettent au consommateur une part plus importante de l’augmentation de leurs coûts de production. Lors de la crise énergétique récente, la coexistence, dans certains secteurs, d’une faible concurrence et d’une exposition de l’ensemble du secteur au choc énergétique a permis à ces entreprises de se coordonner implicitement pour augmenter leurs prix au-delà du choc initial. Elles auraient ainsi contribué à l’augmentation récente de l’inflation.
Dans un article récent (Arquié et Thie, 2023)[2], nous mesurons explicitement ce mécanisme à partir de données confidentielles sur les bilans des firmes françaises. Est-ce que ce sont les firmes dans les secteurs à plus faible concurrence qui ont augmenté davantage leurs prix ? Nous estimons pour chaque entreprise une mesure du pouvoir de marché[3] qui correspond à l’écart entre le prix d’un produit et ses coûts de production. En effet, lorsque la pression concurrentielle est forte, les entreprises sont contraintes de fixer un prix proche du coût de production. Inversement, quand une entreprise dispose d’un fort pouvoir de marché, elle se trouve en mesure de fixer un prix plus élevé sans perdre des clients.
L’objectif de notre article est d’estimer le taux de transmission des prix de l’énergie aux prix de vente dans le secteur industriel français. Imaginons qu’une entreprise doit désormais payer 5 € de plus pour produire une unité de son produit en raison de la hausse des coûts de l’énergie. Un taux de transmission de 100 % signifie alors qu’elle augmente son prix de vente de 5 € exactement.
Nous mesurons d’abord l’exposition de chaque secteur au choc énergétique entre janvier 2020 et février 2023. Nous étudions ensuite dans quelle mesure le pouvoir de marché moyen de chaque secteur affecte le taux de transmission. Nos résultats confirment bien le mécanisme de Weber et Wasner : les 5 secteurs les moins concurrentiels répercutent plus de 100 % du choc énergétique dans leurs prix de vente (graphique 1), c’est-à-dire qu’ils augmentent plus leurs prix que ne le justifierait l’augmentation réelle de leurs coûts de production.
Les économistes Isabella Weber et Evan Wasner développent cette hypothèse dans le contexte de la reprise de l’inflation depuis 2021 (Weber & Wasner, 2023)[1]. Selon eux, l’inflation n’aurait pas seulement des origines macroéconomiques, mais pourrait être entretenue par des dynamiques microéconomiques. L’idée est que les firmes faisant face à peu de concurrence augmentent leurs prix lorsqu’elles s’attendent à ce que leurs concurrents fassent de même. Dans ce cas, elles transmettent au consommateur une part plus importante de l’augmentation de leurs coûts de production. Lors de la crise énergétique récente, la coexistence, dans certains secteurs, d’une faible concurrence et d’une exposition de l’ensemble du secteur au choc énergétique a permis à ces entreprises de se coordonner implicitement pour augmenter leurs prix au-delà du choc initial. Elles auraient ainsi contribué à l’augmentation récente de l’inflation.
Dans un article récent (Arquié et Thie, 2023)[2], nous mesurons explicitement ce mécanisme à partir de données confidentielles sur les bilans des firmes françaises. Est-ce que ce sont les firmes dans les secteurs à plus faible concurrence qui ont augmenté davantage leurs prix ? Nous estimons pour chaque entreprise une mesure du pouvoir de marché[3] qui correspond à l’écart entre le prix d’un produit et ses coûts de production. En effet, lorsque la pression concurrentielle est forte, les entreprises sont contraintes de fixer un prix proche du coût de production. Inversement, quand une entreprise dispose d’un fort pouvoir de marché, elle se trouve en mesure de fixer un prix plus élevé sans perdre des clients.
L’objectif de notre article est d’estimer le taux de transmission des prix de l’énergie aux prix de vente dans le secteur industriel français. Imaginons qu’une entreprise doit désormais payer 5 € de plus pour produire une unité de son produit en raison de la hausse des coûts de l’énergie. Un taux de transmission de 100 % signifie alors qu’elle augmente son prix de vente de 5 € exactement.
Nous mesurons d’abord l’exposition de chaque secteur au choc énergétique entre janvier 2020 et février 2023. Nous étudions ensuite dans quelle mesure le pouvoir de marché moyen de chaque secteur affecte le taux de transmission. Nos résultats confirment bien le mécanisme de Weber et Wasner : les 5 secteurs les moins concurrentiels répercutent plus de 100 % du choc énergétique dans leurs prix de vente (graphique 1), c’est-à-dire qu’ils augmentent plus leurs prix que ne le justifierait l’augmentation réelle de leurs coûts de production.
Graphique 1 : Taux de transmission des prix de l’énergie aux prix de vente, par secteur.
Source : estimations des auteurs.
Les industries alimentaires sont le secteur le moins concurrentiel avec un taux de transmission estimé de 110 %. Ce résultat est cohérent avec les derniers chiffres de l’inflation qui montrent que les prix de l’alimentation ont connu l’augmentation la plus importante avec un taux de 14,3 % sur un an en mai 2023 (INSEE). Nos résultats suggèrent qu’une partie de cette hausse est due à une concurrence insuffisante dans l’industrie alimentaire, permettant aux firmes de se coordonner implicitement afin d’augmenter leurs prix et ainsi leurs profits.
Face à la persistance de l’inflation et à ses origines microéconomiques, l’Autorité de la Concurrence peut ainsi avoir un rôle à jouer. Rôle que Benoît Cœuré s’est récemment dit prêt à endosser.[4] Le président de l’autorité de la concurrence a en effet alerté sur l’existence de profits indus et invité les entreprises à ne pas profiter du contexte inflationniste pour augmenter leurs prix de façon excessive.
Face à la persistance de l’inflation et à ses origines microéconomiques, l’Autorité de la Concurrence peut ainsi avoir un rôle à jouer. Rôle que Benoît Cœuré s’est récemment dit prêt à endosser.[4] Le président de l’autorité de la concurrence a en effet alerté sur l’existence de profits indus et invité les entreprises à ne pas profiter du contexte inflationniste pour augmenter leurs prix de façon excessive.
[1] Weber, I. M. & Wasner, E. (2023). Sellers’ Inflation, Profits and Conflict: Why can Large Firms Hike Prices in an Emergency? Review of Keynesian Economics, 11(2): 183–213.
[2] Axelle Arquié & Malte Thie (2023). Energy, Inflation and Market Power: Excess Pass-Through in France.
CEPII Working Paper 2023-16, June 2023, CEPII.
CEPII Working Paper 2023-16, June 2023, CEPII.
[3] En appliquant la méthode de De Loecker et Warzynski (2012).
De Loecker, J. & Warzynski, F. (2012). Markups and Firm-Level Export Status. American Economic Review, 102(6): 2437–2471.
De Loecker, J. & Warzynski, F. (2012). Markups and Firm-Level Export Status. American Economic Review, 102(6): 2437–2471.
[4] https://www.challenges.fr/entreprise/superprofits-et-inflation-les-avertissements-de-l-autorite-de-la-concurrence_859052
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