L’accord commercial UE-Japon, géant inaperçu
Billet du 4 février 2019
Lorsqu'ils ont annoncé un " accord de principe " en juillet 2017, les responsables japonais et européens n'ont pas manqué de superlatifs. Il s'agissait, selon le Premier ministre Abe, de "la plus grande zone économique industrielle et libre du monde". La Commission européenne, rappelant qu'ensemble ils représentaient environ un tiers du PIB mondial, se félicitait de « l’accord commercial bilatéral le plus important jamais conclu par l'UE". Pourtant à l’époque, l'annonce, bien que dûment commentée, a reçu relativement peu d'attention en comparaison d’autres négociations, comme avec le Canada où les Etats Unis.
Des concessions d'accès préférentiel stimulantes pour le commerce « voitures contre fromage », mais des gains à ne pas surestimer
Les exportations bilatérales de biens totalisaient 60 milliards d'euros en 2017 de l'UE vers le Japon et 69 milliards d'euros du Japon vers l'UE d’après les chiffres européens, auxquelles s’ajoutaient des ventes de services pour 31 milliards d’euros en 2016 de l'UE vers le Japon et 18 milliards d'euros du Japon vers l'UE. Dans des secteurs spécifiques où la protection était relativement élevée jusque-là, la libéralisation pourrait stimuler les échanges bilatéraux, comme le souligne le surnom parfois utilisé pour brocarder cet accord, "voitures contre fromage". C'est d'autant plus vrai que la compétitivité de chacun des partenaires dans ces secteurs est très élevée.
Les conséquences commerciales de cet accord ne doivent cependant pas être surestimées, pour deux raisons. D’abord, la protection initiale est assez faible pour la plupart des produits, avec des droits de douane de près de 3,5% en moyenne pour les exportations bilatérales dans les deux cas, selon les calculs du CEPII. Dans la plupart des secteurs, les réductions tarifaires seront donc marginales. Ensuite, les flux commerciaux bilatéraux, bien qu'impressionnants en termes absolus, ne sont pas très importants en termes relatifs. Après tout, le Japon ne se classe qu'au 6e rang des partenaires commerciaux de l'UE et les exportations bilatérales entre le Japon et l'UE ne représentaient que 1,1% du commerce mondial de marchandises en 2017 (hors intra-UE)i, soit cinq fois moins que les échanges bilatéraux de l'UE avec les États-Unis et quatre fois moins que ceux avec la Chine. Les gains économiques escomptés resteront donc modestes.
Tableau: Le Japon et l’UE dans le commerce mondial en 2017
(%, hors intra UE, Total et produits dont la part conjointe dans le commerce mondial est la plus importante)
|
Commerce bilatéral dans le commerce mondial |
Part conjointe dans les exportations mondiales |
Part conjointe dans les importations mondiales |
Part conjointe dans le commerce mondial |
Total |
1,1 |
21,3 |
19,9 |
40,1 |
Aéronautique |
1,9 |
54,8 |
21,2 |
74,0 |
Pharmacie |
3,3 |
48,2 |
27,0 |
71,9 |
Machines-outils |
3,6 |
49,7 |
16,4 |
62,5 |
Boissons |
2,0 |
46,2 |
14,4 |
58,6 |
Machines spécialisées |
1,7 |
48,2 |
11,7 |
58,3 |
Instruments de précision |
3,2 |
38,6 |
21,7 |
57,0 |
Voitures |
4,8 |
48,0 |
14,5 |
57,7 |
Matériel agricole |
2,1 |
41,3 |
13,6 |
52,8 |
Source : calculs à partir de la base de données Chelem-CEPII. Outre le total, seuls les produits les plus importants en termes de part commune dans le commerce mondial sont présentés. La part commune dans le commerce mondial correspond à la part des transactions mondiales dans lesquelles au moins l'une des deux parties est le Japon ou un pays de l'UE. Les échanges UE-Japon ne sont pris en compte qu'une seule fois dans ce calcul. Les échanges intracommunautaires sont exclus de tous les calculs présentés ici.
Au-delà du marchandage commercial, un partenariat politique et une coopération économique
Même d'un point de vue économique, le partenariat politique revêt une importance particulière dans le contexte actuel où le président des États-Unis réitère constamment son mépris pour le multilatéralisme. Pendant ce temps, la Chine, premier exportateur de biens depuis 2009, dépend toujours d'une économie où l'intervention de l'État est omniprésente, sans que rien ne laisse présager un changement rapide de cette situation. Le Japon et l'UE sont donc les seuls défenseurs, parmi les superpuissances commerciales, d'un système commercial fondé sur des règles entre économies de marché. Dans un contexte où le système commercial multilatéral est soumis à de fortes tensions, cela leur confère un rôle et une responsabilité particuliers.
Pour mesurer l'importance potentielle des engagements de coopération économique, il convient de garder à l'esprit qu’il s'agit notamment d'améliorer la coopération dans divers domaines réglementaires, afin d'éviter des différences inutiles et des surcoûts pour le commerce risquant de nuire à l'innovation. Cet accord a notamment permis d’obtenir du Japon qu’il s’aligne sur les normes internationales, que l’UE utilise déjà, dans les instruments médicaux, l’étiquetage des textiles, les véhicules à moteur et la pharmacie. On peut s'attendre à un impact supplémentaire sur les pays tiers. En effet, les normes ou règles convenues conjointement par le Japon et l'UE pourraient devenir d'autant plus attractives pour les pays tiers que leur adoption faciliterait l'accès à ces grands marchés et rendrait les importations de leurs produits moins chères.
Cette exemplarité repose plus sur l'importance conjointe des deux partenaires sur les marchés mondiaux que sur l’ampleur du commerce bilatéral. En effet, si l'on exclut les échanges intracommunautaires, le Japon et l'UE étaient à l'origine de 21 % des exportations mondiales de marchandises et recevaient 20 % des importations en 2017. Plus frappant encore, l'un ou l'autre était impliqué en tant qu'importateur ou exportateur dans plus de 40% du commerce mondial, une part dépassant 70% dans les secteurs de haute technologie comme l'aéronautique et la pharmacie, et plus de 55% dans plusieurs secteurs dont les machines-outils, les machines spécialisées, les instruments de précision et les voitures. Dans ces secteurs, où les pratiques réglementaires sont de la plus haute importance, cela signifie qu'une approche commune suivie par le Japon et l'UE aura certainement une grande influence sur les pays tiers.
La réaffirmation des engagements de l’Accord de Paris, une première louable mais insuffisante
L'enjeu le plus important de cet accord est sans doute de tirer parti de cette forte position de marché pour influer sur les évolutions de certaines des industries clés pour les défis mondiaux de demain, par exemple en facilitant l’émergence de normes prenant en compte au mieux les préoccupations climatiques et environnementales. Plus largement, le commerce international est devenu trop important pour ignorer ses interactions avec d'autres domaines, comme les questions sociales et environnementales, le changement climatique ou les politiques fiscales1. Les accords commerciaux influent sur les coûts et les avantages des politiques réglementaires dans ces domaines et peuvent servir de levier pour stimuler la coopération. L’accord avec le Japon est ainsi le premier dans lequel les partenaires réaffirment solennellement leurs engagements pris dans l’Accord de Paris. Cette innovation est à saluer, tout en soulignant que ces engagements sont exclus du mécanisme général de règlement des différends inclus dans l’accord. Ce n’est pas un renoncement à suivre leur mise en œuvre, puisque des dispositions spécifiques prévoient qu’en cas de manquement sur ces engagements de développement durable, un groupe d’experts sera constitué, qui formulera des recommandations à partir desquelles l’UE et le Japon devront apporter une réponse coordonnée et rendre des comptes. C’est le pari du dialogue plutôt que de la contrainte, et il a montré son utilité à de multiples reprises. On peut néanmoins regretter que de tels accords ne soient pas mieux mis à profit pour créer véritablement des incitations nouvelles à agir pour lutter contre le changement climatique et préserver l’environnement. C’est évidemment un défi redoutable, dans lequel l’ambition peut facilement mener à la paralysie. Mais la cohérence est à ce prix : le développement durable est l’un des objectifs généraux assignés par le Traité de Lisbonne à l’action extérieure de l’UE.
1 Voir par exemple S. Jean, « Mieux lier les accords commerciaux à des clauses non commerciales : pourquoi et comment ? », billet du 13 octobre 2017, sur ce blog, ainsi que S. Jean, P. Martin et A. Sapir, « Avis de tempête sur le commerce international : quelle stratégie pour l’Europe ? », note du CAE n° 46, juillet 2018.
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