La double incohérence du protectionnisme selon Donald Trump
La politique protectionniste du président-élu américain affiche le double objectif de s’opposer à la Chine et de réduire le déficit commercial américain. Dans les deux cas, la stratégie suivie est profondément incohérente.
Par Sébastien Jean
Billet du 6 janvier 2017
Le protectionnisme est devenu emblématique du programme politique du candidat Trump. Si la plus grande incertitude demeure sur la façon dont le Président Trump le mettra en œuvre, la charge symbolique attachée à ce sujet semble trop forte pour qu’il ne donne aucune suite à ses déclarations. Les plus spectaculaires d’entre elles sont aussi les plus improbables. La menace de droits de douane de 45 % contre les importations chinoises et de 35 % contre les mexicaines, par exemple, est irréaliste étant donné le coût prohibitif qu’elle imposerait à l’économie américaine et à ses entreprises –une étude américaine chiffre à près de 5 millions les pertes d’emploi potentielles dans les trois ans suivant le déclenchement d’une telle guerre commerciale à grande échelle. D’autres leviers d’action semblent plus probables, à commencer par la remise en cause des accords de libre-échange, notamment l’abandon du projet de Partenariat Transpacifique. Le recours intensifié aux sanctions antidumping et apparentées en est un autre, même si l’activité récente débridée des États-Unis en la matière place la barre haut pour marquer une différence. Au-delà, une définition très large de la défense commerciale contre des pratiques jugées déloyales pourrait servir de prétexte à une utilisation plus ou moins ciblée de droits de douane supplémentaires. Des projets de manipulation de la fiscalité des entreprises pour la rendre favorable aux exportations et défavorable aux importations sont également évoqués. Enfin, il est possible (même si c’est actuellement infondé) d’affubler officiellement la Chine du qualificatif de manipulateur de son taux de change, même s’il faut souligner que les conséquences pratiques, se fondant sur deux lois de 1988 et 2015, seraient très limitées. Ironiquement, ce sont d’ailleurs les républicains qui se sont opposés à rendre la loi récente susceptible de donner lieu à l’imposition de droits de douane supplémentaires. La rapide diminution des réserves de change chinoises depuis plus de deux ans rend aberrante une telle accusation de sous-évaluation forcée, mais il suffirait d’une contorsion consistant par exemple à prendre une période de référence très longue pour lui donner un habillage décent, à défaut d’être cohérent.
La politique protectionniste poursuivrait ainsi le double objectif de s’opposer à la Chine et de réduire le déficit commercial américain, pour permettre la ré-industrialisation du pays. Dans les deux cas, la stratégie suivie est profondément incohérente. L’abandon du Partenariat Transpacifique est un cadeau historique pour la Chine, puisque ce projet constituait le socle de la politique de pivot amorcée par Obama pour éviter que la régionalisation en Asie ne se structure autour de la Chine. C’est exactement ce qui est en train de se passer, et Pékin poursuit d’ailleurs activement la négociation de « son » accord régional, dit « RCEP », qui s’appuie sur le principe d’une réduction des droits de douane au sein de la zone, sans guère d’autres engagements contraignants. La réduction du déficit commercial, quant à elle, est synonyme d’augmentation de l’épargne nette de la Nation. Mais si l’Etat mène une politique de relance volontariste, comme le promet le Président élu, c’est qu’il augmente le déficit public, autrement qu’il diminue significativement son épargne nette. Une forte augmentation de l’épargne des ménages et des entreprises serait donc nécessaire, ce qui a peu de chances d’arriver et serait d’ailleurs un sûr moyen de mener à une récession –exactement le contraire du but recherché par la relance. Ajoutons que le lourd déficit courant américain est lié au statut de monnaie de réserve internationale du dollar. Il est nécessaire pour satisfaire l’immense demande de réserves en dollars, qui est la police d’assurance des pays émergents face au risque d’inversion soudaine des flux de capitaux. Au-delà des instruments, c’est bien la cohérence des objectifs qui fait défaut à la démarche protectionniste de Donald Trump. Peu de résultats positifs sont à en attendre, beaucoup de tensions sont à craindre.
Une version légèrement différente de cet article est parue dans Challenges (janvier 2017).
La politique protectionniste poursuivrait ainsi le double objectif de s’opposer à la Chine et de réduire le déficit commercial américain, pour permettre la ré-industrialisation du pays. Dans les deux cas, la stratégie suivie est profondément incohérente. L’abandon du Partenariat Transpacifique est un cadeau historique pour la Chine, puisque ce projet constituait le socle de la politique de pivot amorcée par Obama pour éviter que la régionalisation en Asie ne se structure autour de la Chine. C’est exactement ce qui est en train de se passer, et Pékin poursuit d’ailleurs activement la négociation de « son » accord régional, dit « RCEP », qui s’appuie sur le principe d’une réduction des droits de douane au sein de la zone, sans guère d’autres engagements contraignants. La réduction du déficit commercial, quant à elle, est synonyme d’augmentation de l’épargne nette de la Nation. Mais si l’Etat mène une politique de relance volontariste, comme le promet le Président élu, c’est qu’il augmente le déficit public, autrement qu’il diminue significativement son épargne nette. Une forte augmentation de l’épargne des ménages et des entreprises serait donc nécessaire, ce qui a peu de chances d’arriver et serait d’ailleurs un sûr moyen de mener à une récession –exactement le contraire du but recherché par la relance. Ajoutons que le lourd déficit courant américain est lié au statut de monnaie de réserve internationale du dollar. Il est nécessaire pour satisfaire l’immense demande de réserves en dollars, qui est la police d’assurance des pays émergents face au risque d’inversion soudaine des flux de capitaux. Au-delà des instruments, c’est bien la cohérence des objectifs qui fait défaut à la démarche protectionniste de Donald Trump. Peu de résultats positifs sont à en attendre, beaucoup de tensions sont à craindre.
Une version légèrement différente de cet article est parue dans Challenges (janvier 2017).
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