Politique de liquidité de la BCE et relance du crédit bancaire
Les politiques monétaires non-conventionnelles mises en place par la BCE, centrées sur l’apport des liquidités supplémentaires aux banques, ont-elles permis de relancer le crédit en zone euro ?
Par Urszula Szczerbowicz
Billet du 23 décembre 2014
Pour faire face à la crise de 2008-2009 ainsi qu’à la crise de la dette souveraine, la BCE a mis en place de nombreuses politiques monétaires non-conventionnelles centrées sur l’apport des liquidités supplémentaires aux banques. Cette politique est justifiée par le poids important des banques dans le financement de l’économie de la zone euro. L’apport des liquidités a-t-il réussi à relancer le crédit dans la zone euro ?
L’observation des montants des prêts par rapport à la taille du bilan des banques permet d’avoir une première idée sur l’efficacité des politiques de liquidité de la BCE. Tandis que les prêts aux résidents de la zone euro ont un rôle croissant dans les actifs des banques françaises et allemandes à partir de 2008, ils diminuent significativement dans l’actif des banques italiennes et espagnoles. Cette tendance à la baisse s’est pourtant atténuée en 2012, dans les mois qui ont suivi l’opération de prêts de trois ans accordés par la BCE au secteur bancaire (LTROs de 3 ans), ce qui pourrait indiquer que la BCE a réussi à freiner la baisse des prêts surtout en Italie.
La ventilation des prêts par secteur permet quelques observations intéressantes. Le crédit immobilier accordé aux ménages par les banques françaises continue à croître sans interruption ce qui les différencie des banques allemandes, italiennes et surtout espagnoles qui ont nettement diminué leur encours de crédit immobilier depuis le début de la crise des subprimes. Cependant, les banques dans tous les pays ont relancé leurs prêts immobiliers courant 2012 ce qui coïncide encore avec les LTRO de 3 ans.
La chute des prêts aux sociétés privées non-financières était particulièrement forte en Espagne et en Italie. En Italie, contrairement à l’Espagne, la tendance semble se renverser en 2013.
Bien que les banques n’aient pas augmenté leur distribution des prêts de façon très significative, il se pourrait qu’elles utilisent la liquidité de la BCE pour financer le secteur privé en achetant les titres des dettes des sociétés non financières. [1] Il a été également souligné que les banques ont utilisé cet argent pour acheter des obligations souveraines (Acharya and Sascha, 2013). Le graphique 2 montre que ce sont surtout les banques italiennes et espagnoles qui ont fortement augmenté leur détention des titres émis par les résidents de la zone euro entre 2007 et 2014. Les banques espagnoles ont acquis une grande quantité des titres des compagnies non-financières tandis que les banques italiennes ont acheté les titres des dettes des institutions financières. Les banques italiennes et espagnoles ont également fortement augmenté leur détention des titres de dette publique à partir de 2008. Dans un premier temps (2008-2010) ces achats étaient probablement liés à une grande incertitude sur les marchés financiers (« flight to quality »). Cette tendance s’est pourtant accélérée en 2012 suite au lancement des LTROs de 3 ans par la BCE. Les banques françaises et allemandes, bien que dans une moindre mesure, ont aussi augmenté leur détention des titres souverains à cette période.
Les évolutions des prêts et des titres détenus par des institutions monétaires et financières en France, Italie, Espagne et Allemagne indiquent que la liquidité de la BCE n’a pas incité les banques à distribuer plus de crédit aux entreprises. Les prêts immobiliers aux ménages ont augmenté plus rapidement après les LTROs de 3 ans mais ce sont surtout les titres souverains de la zone euro qui semblent avoir le plus profité de la liquidité de la BCE. Une étude récente montre même que la détention accrue des titres souverains a évincé les prêts aux entreprises privées (Becker et Ivashina 2014).
Les données agrégées ne permettent cependant pas de conclure définitivement si les politiques monétaires non-conventionnelles de la BCE ont contribué à une plus grande distribution de crédit. Sans l’intervention de la banque centrale, la chute de prêts aurait pu être plus importante. Par ailleurs, les enquêtes de la BCE montrent que, suite aux LTROs de 3 ans, les conditions d’octroi de prêts ont été assouplies tandis que la demande de crédit restait faible. La faible demande de crédit peut en effet compliquer la tâche de la BCE de relancer le crédit. La participation plus faible que prévue des banques dans l’opération de refinancement exceptionnelle récente (prêts de 4 ans accordés aux banques qui prêtent au secteur privé – « LTRO ciblée ») témoigne de la difficulté des banques à trouver des projets de prêt rentables. Ceci risque en retour de remettre en cause l’objectif annoncé par la BCE en décembre d’atteindre la taille plus élevée de son bilan.
Graphiques 2 : Titres détenus par les banques émis par les résidents de la zone euro, ratios en % de la taille des actifs
Références :
Acharya, Viral V & Steffen, Sascha, 2013. "The Greatest Carry Trade Ever? Understanding Eurozone Bank Risks", CEPR Discussion Papers 9432, C.E.P.R. Discussion Papers.
Becker, Bo & Victoria Ivashina, 2014. Financial repression in the European sovereign debt crisis. Available at SSRN 2429767.
Thomas Grjebine, Urszula Szczerbowicz & Fabien Tripier , 2014. "Corporate Debt Structure and Economic Recoveries," CEPII Working Paper 2014- 19 , November 2014 , CEPII.
L’observation des montants des prêts par rapport à la taille du bilan des banques permet d’avoir une première idée sur l’efficacité des politiques de liquidité de la BCE. Tandis que les prêts aux résidents de la zone euro ont un rôle croissant dans les actifs des banques françaises et allemandes à partir de 2008, ils diminuent significativement dans l’actif des banques italiennes et espagnoles. Cette tendance à la baisse s’est pourtant atténuée en 2012, dans les mois qui ont suivi l’opération de prêts de trois ans accordés par la BCE au secteur bancaire (LTROs de 3 ans), ce qui pourrait indiquer que la BCE a réussi à freiner la baisse des prêts surtout en Italie.
La ventilation des prêts par secteur permet quelques observations intéressantes. Le crédit immobilier accordé aux ménages par les banques françaises continue à croître sans interruption ce qui les différencie des banques allemandes, italiennes et surtout espagnoles qui ont nettement diminué leur encours de crédit immobilier depuis le début de la crise des subprimes. Cependant, les banques dans tous les pays ont relancé leurs prêts immobiliers courant 2012 ce qui coïncide encore avec les LTRO de 3 ans.
La chute des prêts aux sociétés privées non-financières était particulièrement forte en Espagne et en Italie. En Italie, contrairement à l’Espagne, la tendance semble se renverser en 2013.
Bien que les banques n’aient pas augmenté leur distribution des prêts de façon très significative, il se pourrait qu’elles utilisent la liquidité de la BCE pour financer le secteur privé en achetant les titres des dettes des sociétés non financières. [1] Il a été également souligné que les banques ont utilisé cet argent pour acheter des obligations souveraines (Acharya and Sascha, 2013). Le graphique 2 montre que ce sont surtout les banques italiennes et espagnoles qui ont fortement augmenté leur détention des titres émis par les résidents de la zone euro entre 2007 et 2014. Les banques espagnoles ont acquis une grande quantité des titres des compagnies non-financières tandis que les banques italiennes ont acheté les titres des dettes des institutions financières. Les banques italiennes et espagnoles ont également fortement augmenté leur détention des titres de dette publique à partir de 2008. Dans un premier temps (2008-2010) ces achats étaient probablement liés à une grande incertitude sur les marchés financiers (« flight to quality »). Cette tendance s’est pourtant accélérée en 2012 suite au lancement des LTROs de 3 ans par la BCE. Les banques françaises et allemandes, bien que dans une moindre mesure, ont aussi augmenté leur détention des titres souverains à cette période.
Les évolutions des prêts et des titres détenus par des institutions monétaires et financières en France, Italie, Espagne et Allemagne indiquent que la liquidité de la BCE n’a pas incité les banques à distribuer plus de crédit aux entreprises. Les prêts immobiliers aux ménages ont augmenté plus rapidement après les LTROs de 3 ans mais ce sont surtout les titres souverains de la zone euro qui semblent avoir le plus profité de la liquidité de la BCE. Une étude récente montre même que la détention accrue des titres souverains a évincé les prêts aux entreprises privées (Becker et Ivashina 2014).
Les données agrégées ne permettent cependant pas de conclure définitivement si les politiques monétaires non-conventionnelles de la BCE ont contribué à une plus grande distribution de crédit. Sans l’intervention de la banque centrale, la chute de prêts aurait pu être plus importante. Par ailleurs, les enquêtes de la BCE montrent que, suite aux LTROs de 3 ans, les conditions d’octroi de prêts ont été assouplies tandis que la demande de crédit restait faible. La faible demande de crédit peut en effet compliquer la tâche de la BCE de relancer le crédit. La participation plus faible que prévue des banques dans l’opération de refinancement exceptionnelle récente (prêts de 4 ans accordés aux banques qui prêtent au secteur privé – « LTRO ciblée ») témoigne de la difficulté des banques à trouver des projets de prêt rentables. Ceci risque en retour de remettre en cause l’objectif annoncé par la BCE en décembre d’atteindre la taille plus élevée de son bilan.
Graphiques 1 : Prêts des institutions monétaires et financières aux résidents de la zone euro, ratios en % de la taille des actifs
Prêts (total, en zone euro) |
Prêts aux institutions monétaires et financières de la zone euro
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Prêts immobilers aux ménages de la zone euro |
Prêts aux firmes privées non financières de la zone euro |
Graphiques 2 : Titres détenus par les banques émis par les résidents de la zone euro, ratios en % de la taille des actifs
Titres (Total, sans Actions) |
Titres émis par les institutions monétaires et financières de la zone euro (hors actions)
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Titres émis par les gouvernements de la zone euro (hors actions) |
Titres émis par le secteur privé non financier de la zone euro (hors actions) |
Source : Thomson Reuters Datastream.
Références :
Acharya, Viral V & Steffen, Sascha, 2013. "The Greatest Carry Trade Ever? Understanding Eurozone Bank Risks", CEPR Discussion Papers 9432, C.E.P.R. Discussion Papers.
Becker, Bo & Victoria Ivashina, 2014. Financial repression in the European sovereign debt crisis. Available at SSRN 2429767.
Thomas Grjebine, Urszula Szczerbowicz & Fabien Tripier , 2014. "Corporate Debt Structure and Economic Recoveries," CEPII Working Paper 2014- 19 , November 2014 , CEPII.
[1] Les entreprises ont plus recours au financement obligataire après les récessions, voir le document de travail du CEPII, 2014-19.
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