La difficile sortie de la déflation au Japon
Le Premier ministre Shinzo Abe a fait de la lutte contre la déflation sa priorité pour « remettre le Japon sur pied ». Dans le contexte d’une zone euro où l’indice des prix à la consommation a atteint le niveau alarmant de 0,3 % en août 2014, quelles leçons peut-on tirer de l’expérience japonaise ?
Par Evelyne Dourille-Feer
Billet du 11 septembre 2014
La longue période de déflation
L’éclatement de la bulle boursière en 1990, puis de celle de l’immobilier en 1991-1992 sont à l’origine de la déflation japonaise. La perte de valur des actifs de 800 000 milliards de yens entre 1991 et 1994 a impacté rapidement l’économie réelle. Le rythme annuel moyen de croissance du PIB réel a été divisé par quatre entre la décennie 1980 et la période 1992-2002, passant de 4 % à 1 %. L’allègement des tensions déflationnistes pendant l’embellie économique de 2002 à 2007 a été remis en question par le ralentissement du commerce mondial en 2008 et 2009 suite à la crise des subprimes, puis par le tremblement de terre du Tohoku en 2011.
Au début des années 1990, le recul de la demande privée s’est traduit par une période de désinflation jusqu’en 1994, une inflation proche de 0 en 1995, une remontée des prix en 1996 et surtout en 1997 suite au passage de la TVA de 3 % à 5 %. La déflation s’est enracinée de 1999 à 2012, période où l’indice des prix à la consommation hors alimentation et énergie (IPC sous-jacent) n’a enregistré aucune année en territoire positif (graphique 1).
Différents facteurs sont venus alimenter une baisse moyenne des prix de 0,3 % par an entre 1998 et 2012 [1].
Des causes multiples
La faiblesse de la demande privée domestique a reflété le phénomène de désendettement des entreprises et, dans une moindre mesure, celui des ménages. Il en a résulté un écart persistant entre le niveau enregistré et potentiel de l’activité économique, l’écart de production (output gap), qui a pesé négativement sur les prix. De surcroît, la montée en puissance des petites surface de proximité ouvertes à la vente de produits asiatiques peu onéreux ainsi que l’assouplissement législatif de l’ouverture des grandes surfaces, y compris étrangères, a renforcé la pression à la baisse des prix [2]. L’augmentation des dépenses publiques a permis à l’économie japonaise de compenser partiellement la faiblesse de la demande privée, mais elle n’a pas été suffisamment forte pour dynamiser l’économie (ampleur insuffisante des plans de relance, politiques budgétaires de « stop and go » pendant la crise) [3].
De surcroît, des facteurs structurels ont fragilisé l’offre et renforcé les tendances déflationnistes en réduisant les investissements et les hausses salariales. Tout d’abord, l’accélération des délocalisations, notamment dans les secteurs de l’automobile et de l’électronique, a diminué les débouchés d’exportation et induit des réimportations de produits fabriqués dans les usines nippones à l’étranger. Ensuite, la concurrence des pays asiatiques ou émergents a contraint les industriels japonais à serrer leurs prix et leurs marges, tendance qui a été renforcée par le yen fort. Enfin, la crise bancaire a pesé sur l’offre à la fin des années 1990, notamment pour les PME, et contribué à enraciner la déflation. La baisse des prix persistante a développé des comportements attentistes ainsi qu’une aversion au risque affaiblissant l’esprit d’entreprise et participant à la montée des embauches de travailleurs précaires.
Les politiques de lutte contre la déflation
Parmi les outils de politique économique de lutte contre la déflation, seule la politique budgétaire a été activée rapidement lors des deux crises de 1992-2002 et de 2008-2009. Toutefois, les injections directes de dépenses publiques additionnelles dans l’économie ont été trop irrégulières et trop modestes pour envoyer un signal clair aux acteurs économiques. De son côté, la politique monétaire de la Banque du Japon (BoJ) s’est mise en place avec lenteur. L’économie japonaise avait déjà basculé dans la déflation quand la politique du taux zéro et des mesures non conventionnelles de faible ampleur (assouplissement quantitatif, achat d’actifs risqués…) ont été adoptées. De surcroît, la résolution de la crise du système bancaire a duré treize ans pour cause de plans tardifs et trop graduels.
Shinzo Abe a compris que la déflation ne serait jugulée que si la confiance des agents économiques se rétablissait. Il lui fallait agir vite et fort car le passé montrait que l’adoption tardive de mesures prudentes avait eu peu d’effet. Début 2013, la banque du Japon a mis en place un plan très ambitieux d’assouplissement quantitatif (doublement de la base monétaire en deux ans) et qualitatif (achat massif de titres souverains à maturité moyenne de 7 ans, achat d’OPCVM indiciels côtés en bourse, de billets de trésoreries…) avec l’objectif d’atteindre 2 % d’inflation en environ deux ans. Une vigoureuse politique budgétaire est venue étayer la politique monétaire avec des budgets initiaux en augmentation en 2013 et 2014, ainsi qu’un plan de relance massif (2 % du PIB) début 2013 et un plan de soutien à l’économie plus modeste début 2014. Des réformes structurelles sont en cours pour dynamiser l’économie à moyen long-terme, notamment l’investissement des entreprises.
Une sortie de déflation encore fragile
Des résultats positifs sont déjà enregistrés. Ainsi, l’indice des prix à la consommation hors produits frais a atteint 0,8 % sur l’ensemble de l’année fiscale 2013 (avril 2013-fin mars 2014), un niveau légèrement supérieur au 0,7 % prévu par la Banque du Japon en mai 2013 (graphique 2).
Les économistes de la Banque du Japon expliquent en partie ce résultat par le changement de la relation liant les prix et le taux chômage entre la période 1997-2012 et celle démarrant au début de l’année fiscale 2013 [4]. En effet, alors que la baisse du taux de chômage avait une faible influence sur l’évolution des prix pendant la première période, on constate l’inverse depuis 2013. Dans le contexte actuel de baisse tendancielle du taux de chômage, ce retournement permettra-t-il d’atteindre en 2015-2016 les 2 % d’inflation comme le prévoit la Banque du Japon ?
Alors que l’IPC, même hors produits frais progressait de plus de 1 % en glissement annuel depuis novembre 2013, il a bondit au-dessus de 3 % depuis avril 2014, mois où la TVA est passée de 5 % à 8 %. Lorsque l’on exclut l’effet TVA, cet indice est demeuré stable autour de 1,3 % d’avril à juillet 2014, malgré le choc post-TVA sur la consommation et l’investissement. Néanmoins, sans reprise des investissements et sans progression des salaires réels pour soutenir la consommation, les pressions déflationnistes risquent de compromettre la possibilité d’atteindre 2 % d‘inflation au cours de l’année fiscale 2015, plus encore si un nouveau choc TVA (passage de 8 % à 10 %) est appliqué en octobre 2015.
Quels enseignements pour la zone euro ?
La situation de la zone euro présente des similitudes avec celle du Japon à partir de la deuxième moitié des années 1990 à plusieurs titres : secteur privé en cours de désendettement, pression à la baisse sur les salaires, monnaie forte (déflation importée), politique monétaire assez peu expansive…Si l’on se base sur l’exemple du Japon, les probabilités que la zone euro bascule dans la déflation sont élevées et renforcées par les politiques européennes d’austérité budgétaire. Et le Japon montre qu’une fois la déflation installée, il est très difficile d’en sortir. Il faut donc agir vite pendant la phase de désinflation. La politique monétaire ultra-expansive jointe à de la relance budgétaire, impulsée par Shinzo Abe, a eu un impact assez rapide sur la déflation et sur la baisse du yen, néanmoins cette sortie de la déflation n’est pas encore pérenne. Dans le cas de la zone euro, l’efficacité d’une politique monétaire semblable à celle pratiquée actuellement au Japon n’est pas avérée car les entreprises et les ménages se désendettent, par contre, une politique budgétaire de relance au niveau de la zone euro, s’appuyant sur un budget européen accru pourrait s’avérer primordial pour éviter la déflation ou une situation de longue période d’inflation quasi-nulle.
L’éclatement de la bulle boursière en 1990, puis de celle de l’immobilier en 1991-1992 sont à l’origine de la déflation japonaise. La perte de valur des actifs de 800 000 milliards de yens entre 1991 et 1994 a impacté rapidement l’économie réelle. Le rythme annuel moyen de croissance du PIB réel a été divisé par quatre entre la décennie 1980 et la période 1992-2002, passant de 4 % à 1 %. L’allègement des tensions déflationnistes pendant l’embellie économique de 2002 à 2007 a été remis en question par le ralentissement du commerce mondial en 2008 et 2009 suite à la crise des subprimes, puis par le tremblement de terre du Tohoku en 2011.
Au début des années 1990, le recul de la demande privée s’est traduit par une période de désinflation jusqu’en 1994, une inflation proche de 0 en 1995, une remontée des prix en 1996 et surtout en 1997 suite au passage de la TVA de 3 % à 5 %. La déflation s’est enracinée de 1999 à 2012, période où l’indice des prix à la consommation hors alimentation et énergie (IPC sous-jacent) n’a enregistré aucune année en territoire positif (graphique 1).
Différents facteurs sont venus alimenter une baisse moyenne des prix de 0,3 % par an entre 1998 et 2012 [1].
Des causes multiples
La faiblesse de la demande privée domestique a reflété le phénomène de désendettement des entreprises et, dans une moindre mesure, celui des ménages. Il en a résulté un écart persistant entre le niveau enregistré et potentiel de l’activité économique, l’écart de production (output gap), qui a pesé négativement sur les prix. De surcroît, la montée en puissance des petites surface de proximité ouvertes à la vente de produits asiatiques peu onéreux ainsi que l’assouplissement législatif de l’ouverture des grandes surfaces, y compris étrangères, a renforcé la pression à la baisse des prix [2]. L’augmentation des dépenses publiques a permis à l’économie japonaise de compenser partiellement la faiblesse de la demande privée, mais elle n’a pas été suffisamment forte pour dynamiser l’économie (ampleur insuffisante des plans de relance, politiques budgétaires de « stop and go » pendant la crise) [3].
De surcroît, des facteurs structurels ont fragilisé l’offre et renforcé les tendances déflationnistes en réduisant les investissements et les hausses salariales. Tout d’abord, l’accélération des délocalisations, notamment dans les secteurs de l’automobile et de l’électronique, a diminué les débouchés d’exportation et induit des réimportations de produits fabriqués dans les usines nippones à l’étranger. Ensuite, la concurrence des pays asiatiques ou émergents a contraint les industriels japonais à serrer leurs prix et leurs marges, tendance qui a été renforcée par le yen fort. Enfin, la crise bancaire a pesé sur l’offre à la fin des années 1990, notamment pour les PME, et contribué à enraciner la déflation. La baisse des prix persistante a développé des comportements attentistes ainsi qu’une aversion au risque affaiblissant l’esprit d’entreprise et participant à la montée des embauches de travailleurs précaires.
Les politiques de lutte contre la déflation
Parmi les outils de politique économique de lutte contre la déflation, seule la politique budgétaire a été activée rapidement lors des deux crises de 1992-2002 et de 2008-2009. Toutefois, les injections directes de dépenses publiques additionnelles dans l’économie ont été trop irrégulières et trop modestes pour envoyer un signal clair aux acteurs économiques. De son côté, la politique monétaire de la Banque du Japon (BoJ) s’est mise en place avec lenteur. L’économie japonaise avait déjà basculé dans la déflation quand la politique du taux zéro et des mesures non conventionnelles de faible ampleur (assouplissement quantitatif, achat d’actifs risqués…) ont été adoptées. De surcroît, la résolution de la crise du système bancaire a duré treize ans pour cause de plans tardifs et trop graduels.
Shinzo Abe a compris que la déflation ne serait jugulée que si la confiance des agents économiques se rétablissait. Il lui fallait agir vite et fort car le passé montrait que l’adoption tardive de mesures prudentes avait eu peu d’effet. Début 2013, la banque du Japon a mis en place un plan très ambitieux d’assouplissement quantitatif (doublement de la base monétaire en deux ans) et qualitatif (achat massif de titres souverains à maturité moyenne de 7 ans, achat d’OPCVM indiciels côtés en bourse, de billets de trésoreries…) avec l’objectif d’atteindre 2 % d’inflation en environ deux ans. Une vigoureuse politique budgétaire est venue étayer la politique monétaire avec des budgets initiaux en augmentation en 2013 et 2014, ainsi qu’un plan de relance massif (2 % du PIB) début 2013 et un plan de soutien à l’économie plus modeste début 2014. Des réformes structurelles sont en cours pour dynamiser l’économie à moyen long-terme, notamment l’investissement des entreprises.
Une sortie de déflation encore fragile
Des résultats positifs sont déjà enregistrés. Ainsi, l’indice des prix à la consommation hors produits frais a atteint 0,8 % sur l’ensemble de l’année fiscale 2013 (avril 2013-fin mars 2014), un niveau légèrement supérieur au 0,7 % prévu par la Banque du Japon en mai 2013 (graphique 2).
Les économistes de la Banque du Japon expliquent en partie ce résultat par le changement de la relation liant les prix et le taux chômage entre la période 1997-2012 et celle démarrant au début de l’année fiscale 2013 [4]. En effet, alors que la baisse du taux de chômage avait une faible influence sur l’évolution des prix pendant la première période, on constate l’inverse depuis 2013. Dans le contexte actuel de baisse tendancielle du taux de chômage, ce retournement permettra-t-il d’atteindre en 2015-2016 les 2 % d’inflation comme le prévoit la Banque du Japon ?
Alors que l’IPC, même hors produits frais progressait de plus de 1 % en glissement annuel depuis novembre 2013, il a bondit au-dessus de 3 % depuis avril 2014, mois où la TVA est passée de 5 % à 8 %. Lorsque l’on exclut l’effet TVA, cet indice est demeuré stable autour de 1,3 % d’avril à juillet 2014, malgré le choc post-TVA sur la consommation et l’investissement. Néanmoins, sans reprise des investissements et sans progression des salaires réels pour soutenir la consommation, les pressions déflationnistes risquent de compromettre la possibilité d’atteindre 2 % d‘inflation au cours de l’année fiscale 2015, plus encore si un nouveau choc TVA (passage de 8 % à 10 %) est appliqué en octobre 2015.
Quels enseignements pour la zone euro ?
La situation de la zone euro présente des similitudes avec celle du Japon à partir de la deuxième moitié des années 1990 à plusieurs titres : secteur privé en cours de désendettement, pression à la baisse sur les salaires, monnaie forte (déflation importée), politique monétaire assez peu expansive…Si l’on se base sur l’exemple du Japon, les probabilités que la zone euro bascule dans la déflation sont élevées et renforcées par les politiques européennes d’austérité budgétaire. Et le Japon montre qu’une fois la déflation installée, il est très difficile d’en sortir. Il faut donc agir vite pendant la phase de désinflation. La politique monétaire ultra-expansive jointe à de la relance budgétaire, impulsée par Shinzo Abe, a eu un impact assez rapide sur la déflation et sur la baisse du yen, néanmoins cette sortie de la déflation n’est pas encore pérenne. Dans le cas de la zone euro, l’efficacité d’une politique monétaire semblable à celle pratiquée actuellement au Japon n’est pas avérée car les entreprises et les ménages se désendettent, par contre, une politique budgétaire de relance au niveau de la zone euro, s’appuyant sur un budget européen accru pourrait s’avérer primordial pour éviter la déflation ou une situation de longue période d’inflation quasi-nulle.
Graphique 1 : Variation annuelle de la demande privée, des indices des prix à la consommation et de l’Output gap au Japon (1989-2012, en %)
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Notes : écart de production en % du PIB potentiel. Sources : IPC: MIC, Statistics Bureau, Ecart de production (Output gap) : OCDE, demande privée : comptabilité nationale : ESRI-SNA |
Graphique 2 : Evolution de l’inflation en glissement annuel (2012-juin 2014) |
Source : Statistics bureau, MIC
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[2] E Dourille-Feer (2014), L'économie du Japon, Ed. La découverte, coll. Repères, janvier.
[3] E Dourille-Feer (2014), « Les paradoxes de la dette publique japonaise » In Dettes publiques en zone Euro : Enseignements de l’histoire et stratégie pour l’avenir, Rapport CDC, juillet.
[4] Changed economy helping BOJ attain price goal, Yohei Matsuo, Nikkei Asian Review, July 29, 2014.
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