Un monde sans dollar ?
70 ans après les accords de Bretton-Woods, l’ordre monétaire international hésite toujours entre hégémonie et compromis mais il n’est plus question de « système ».
Par Christophe Destais
Billet du 31 juillet 2014
Le 22 juillet 1944, il y a exactement 70 ans, étaient signés les accords de Bretton Woods qui créaient le FMI, la Banque Mondiale et consacraient la domination internationale de la monnaie américaine, le dollar. Au tournant des années 70, les parités de change fixes et la convertibilité à prix fixe du dollar en or, qu’avaient institué Bretton Woods, ont été démantelés. Durant les années 80 et au tout début des années 90, les restrictions au flux de capitaux - qui avaient prévalu depuis la guerre, sauf aux États-Unis - ont été à leur tour démantelées. Bien qu’il ait joué un role important à certaines périodes de son histoire, le FMI n’a jamais été le grand régulateur monétaire et financier international que Keynes appelait de ses vœux et qui supposait, qu’il disposât - comme Keynes le demandait à Bretton Woods - d’un pouvoir de création de liquidités internationales.
Ces dernières permettent la circulation des marchandises et des capitaux dans le monde et la constitution de réserves et facilitent l’intermédiation financière internationale, voire au sein d’un même pays.
Durant les sept dernières décennies, ces liquidités ont considérablement cru en volume mais elles sont restées -pour l’essentiel- libellées en dollar. Le rôle dominant de la monnaie américaine n’a jamais été sérieusement mis en cause.
Ni l’émergence de nouveaux concurrents (le mark puis l’euro, le yen et maintenant le renminbi chinois), ni les attaques frontales (la conversion en or des réserves des banques centrales en dollar, dans les années 60), ni les dysfonctionnements de l’économie américaine, parfois très graves (inflation et déficits publics dans les années 60-70, quasi-effondrement du système financier en 2008), ni les institutions monétaires régionales plus ou moins concurrentes du FMI (comme l’initiative de Chiang Mai en Asie), ni l’indifférence américaine aux problèmes des autres n’ont, jusqu’à présent, eu raison de la primauté du billet vert.
L’illustration la plus forte de cette primauté maintenue a été l’appréciation du taux de change américain au plus fort de la crise de 2008-2009.
Cette domination n’est certes pas éternelle. Avant le dollar, il y avait eu la livre sterling et il y aura certainement un après. Mais, quand adviendra-t-il et en quoi consistera-t-il ?
La primauté du dollar est fondée sur deux piliers : la domination économique américaine et ses implications géopolitiques et la confiance que le système économique et financier des États-Unis inspire, à tort ou à raison, et dont la puissance n’est qu’un élément auquel il faut ajouter la dynamique, la capacité à réguler les conflits et à protéger les droits. Il est probable que le recul et, finalement, l’éviction du dollar résulteront de l’affaissement de ces deux piliers, avec sans doute des effets d’inertie et au prix de crises qui seront nécessaires pour intégrer une nouvelle donne.
Au demeurant, la dynamique de la reprise actuelle aux Etats-Unis, certes fragile et sans doute génératrice de nouveaux déséquilibres financiers, ne laisse pas penser que le déclin relatif et sans doute irrémédiable, de la puissance américaine connait une phase d’accélération brutale.
Pour la succession, trois voies sont possibles et reflètent chacune une vision des relations internationales.
La première est volontariste. Elle consiste à mettre en place un ordre public monétaire international harmonieux. C’est cette approche qui est sous-jacente à l’idée d’une “réforme du système monétaire international”. Des institutions efficaces, dotées des moyens adéquats (très certainement une monnaie internationale) seraient chargées de la régulation monétaire internationale. Comme l’ont bien montré les crises récentes, cette régulation suppose aussi celle de la finance mondiale.
La seconde est cynique. L’ordre public monétaire international découle avant tout de la puissance économique hégémonique et de la capacité à s’imposer comme un modèle. C’est la situation qui a -pour l’essentiel- prévalu depuis la fin du XIXème siècle Si le dollar est un jour remplacé, ce sera par une autre puissance monétaire internationale, à la fois plus forte et davantage en mesure d’inspirer la confiance que les Etats-Unis.
La troisième voie est une synthèse, relativement minimaliste mais pragmatique, des deux précédentes qui valorise des approches régionales avec l’espoir que ces approches soient rendues complémentaires dans un cadre multinational. Cette voie trouve un écho dans l’expression “filets de sécurité financiers internationaux” (global financial safety nets) dont le pluriel et la moindre ambition contraste avec la notion de « système » chère à la première approche.
Les évolutions les plus récentes laissent penser que les deux dernières approches tendent à se combiner tandis que la première apparaît dans les limbes.
Ainsi, les accords d’échange de liquidités (swaps) entre la réserve fédérale américaine et plusieurs banques centrales ont créé un nouveau « filet de sécurité » incontestablement efficace à apaiser les tensions monétaires et financières internationales pendant la crise. Dans le même temps, ces accords – qui ont été institutionnalisés à l’automne 2013- échappent à tout cadre international. Ils réduisent le rôle du FMI et confortent la puissance américaine.
Depuis 2009, des initiatives ont été prises en matière de régulation financière au sein du G20. Elles sont désormais coordonnées de manière plus étroite par le Conseil de Stabilité Financière (Financial Stability Board, FSB). Cela peut être compris comme le produit de la volonté américaine de consentir à une harmonisation minimale pour favoriser la poursuite d’un processus de globalisation financière qui leur a été jusqu’à présent favorable. Cela peut aussi constituer les prémisses d’un socle de régulation de la finance mondiale mais il est certainement illusoire de penser qu’on ira vers une harmonisation globale dans ce domaine.
De son côté, la Chine mène une politique d’internationalisation du renminbi qui comporte également un volet d’accords d’échange de liquidités entre les banques centrales. Cette politique vise certes à mieux structurer une zone monétaire asiatique, à éliminer des coûts et des risques liés au passage des transactions commerciales et financières par des monnaies tierces. Il est toutefois difficile d’imaginer que toute ambition monétaire hégémonique est absente de cet effort méthodique.
De même, le développement des accords monétaires régionaux (comme l’extension de l’initiative de Chiang Mai entre les pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est, en 2009) ou le récent Contingent Reserves Arrangement entre les BRICS contribueront à atténuer les tensions monétaires localisées. Le CRA répond également au blocage de la réforme de la gouvernance du FMI par le Congrès américain. Mais ces initiatives confortent aussi la montée en puissance de la Chine, malgré la méfiance de ses partenaires.
Ce billet a également été publié dans Les Echos le 23 juillet 2014
Ces dernières permettent la circulation des marchandises et des capitaux dans le monde et la constitution de réserves et facilitent l’intermédiation financière internationale, voire au sein d’un même pays.
Durant les sept dernières décennies, ces liquidités ont considérablement cru en volume mais elles sont restées -pour l’essentiel- libellées en dollar. Le rôle dominant de la monnaie américaine n’a jamais été sérieusement mis en cause.
Ni l’émergence de nouveaux concurrents (le mark puis l’euro, le yen et maintenant le renminbi chinois), ni les attaques frontales (la conversion en or des réserves des banques centrales en dollar, dans les années 60), ni les dysfonctionnements de l’économie américaine, parfois très graves (inflation et déficits publics dans les années 60-70, quasi-effondrement du système financier en 2008), ni les institutions monétaires régionales plus ou moins concurrentes du FMI (comme l’initiative de Chiang Mai en Asie), ni l’indifférence américaine aux problèmes des autres n’ont, jusqu’à présent, eu raison de la primauté du billet vert.
L’illustration la plus forte de cette primauté maintenue a été l’appréciation du taux de change américain au plus fort de la crise de 2008-2009.
Cette domination n’est certes pas éternelle. Avant le dollar, il y avait eu la livre sterling et il y aura certainement un après. Mais, quand adviendra-t-il et en quoi consistera-t-il ?
La primauté du dollar est fondée sur deux piliers : la domination économique américaine et ses implications géopolitiques et la confiance que le système économique et financier des États-Unis inspire, à tort ou à raison, et dont la puissance n’est qu’un élément auquel il faut ajouter la dynamique, la capacité à réguler les conflits et à protéger les droits. Il est probable que le recul et, finalement, l’éviction du dollar résulteront de l’affaissement de ces deux piliers, avec sans doute des effets d’inertie et au prix de crises qui seront nécessaires pour intégrer une nouvelle donne.
Au demeurant, la dynamique de la reprise actuelle aux Etats-Unis, certes fragile et sans doute génératrice de nouveaux déséquilibres financiers, ne laisse pas penser que le déclin relatif et sans doute irrémédiable, de la puissance américaine connait une phase d’accélération brutale.
Pour la succession, trois voies sont possibles et reflètent chacune une vision des relations internationales.
La première est volontariste. Elle consiste à mettre en place un ordre public monétaire international harmonieux. C’est cette approche qui est sous-jacente à l’idée d’une “réforme du système monétaire international”. Des institutions efficaces, dotées des moyens adéquats (très certainement une monnaie internationale) seraient chargées de la régulation monétaire internationale. Comme l’ont bien montré les crises récentes, cette régulation suppose aussi celle de la finance mondiale.
La seconde est cynique. L’ordre public monétaire international découle avant tout de la puissance économique hégémonique et de la capacité à s’imposer comme un modèle. C’est la situation qui a -pour l’essentiel- prévalu depuis la fin du XIXème siècle Si le dollar est un jour remplacé, ce sera par une autre puissance monétaire internationale, à la fois plus forte et davantage en mesure d’inspirer la confiance que les Etats-Unis.
La troisième voie est une synthèse, relativement minimaliste mais pragmatique, des deux précédentes qui valorise des approches régionales avec l’espoir que ces approches soient rendues complémentaires dans un cadre multinational. Cette voie trouve un écho dans l’expression “filets de sécurité financiers internationaux” (global financial safety nets) dont le pluriel et la moindre ambition contraste avec la notion de « système » chère à la première approche.
Les évolutions les plus récentes laissent penser que les deux dernières approches tendent à se combiner tandis que la première apparaît dans les limbes.
Ainsi, les accords d’échange de liquidités (swaps) entre la réserve fédérale américaine et plusieurs banques centrales ont créé un nouveau « filet de sécurité » incontestablement efficace à apaiser les tensions monétaires et financières internationales pendant la crise. Dans le même temps, ces accords – qui ont été institutionnalisés à l’automne 2013- échappent à tout cadre international. Ils réduisent le rôle du FMI et confortent la puissance américaine.
Depuis 2009, des initiatives ont été prises en matière de régulation financière au sein du G20. Elles sont désormais coordonnées de manière plus étroite par le Conseil de Stabilité Financière (Financial Stability Board, FSB). Cela peut être compris comme le produit de la volonté américaine de consentir à une harmonisation minimale pour favoriser la poursuite d’un processus de globalisation financière qui leur a été jusqu’à présent favorable. Cela peut aussi constituer les prémisses d’un socle de régulation de la finance mondiale mais il est certainement illusoire de penser qu’on ira vers une harmonisation globale dans ce domaine.
De son côté, la Chine mène une politique d’internationalisation du renminbi qui comporte également un volet d’accords d’échange de liquidités entre les banques centrales. Cette politique vise certes à mieux structurer une zone monétaire asiatique, à éliminer des coûts et des risques liés au passage des transactions commerciales et financières par des monnaies tierces. Il est toutefois difficile d’imaginer que toute ambition monétaire hégémonique est absente de cet effort méthodique.
De même, le développement des accords monétaires régionaux (comme l’extension de l’initiative de Chiang Mai entre les pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est, en 2009) ou le récent Contingent Reserves Arrangement entre les BRICS contribueront à atténuer les tensions monétaires localisées. Le CRA répond également au blocage de la réforme de la gouvernance du FMI par le Congrès américain. Mais ces initiatives confortent aussi la montée en puissance de la Chine, malgré la méfiance de ses partenaires.
Ce billet a également été publié dans Les Echos le 23 juillet 2014
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