Essor, déclin et renouveau de l’interventionnisme économique
Alors que dans les années 1980 l’interventionnisme économique était perçu comme un frein à la croissance, depuis la crise de 2008 il est reconsidéré comme un élément important pour la promotion de la croissance soutenable.
Par Sandra Poncet
Faits & Chiffres du 14 décembre 2012
À partir des années 1950, de nombreux pays en développement ont opté pour des politiques destinées à promouvoir de nouvelles industries naissantes ou à protéger les activités locales traditionnelles de la concurrence des pays plus avancés. Les politiques de substitution aux importations se sont imposées en Amérique latine ou en Algérie tandis qu’en Asie de l’Est, c’est la promotion des exportations via des barrières aux importations combinées à la sous-évaluation du taux de change qui a été privilégié. Ces mesures communément appelées « de politique industrielle » n’étaient pas contestées puisque jusqu’aux années 1970 les deux groupes de pays ont connu une croissance forte.
Le ralentissement de l’Amérique latine dans les années 1970 et celui du Japon dans les années 1990 ont conduit à une remise en cause du rôle de la politique industrielle dans le processus de développement économique. Sur le front empirique, de nombreux travaux suggèrent que les secteurs n’ayant pas bénéficié de protection ont connu une croissance de la productivité plus rapide que les secteurs protégés. Les interventions publiques n’auraient globalement qu’un impact limité et en outre fortement contraint par l’essor des réseaux internationaux de production et les entreprises transnationales. Sur le front théorique, les justifications traditionnelles de l’intervention de l’Etat reposent sur l’existence d’externalités (effets d’agglomération, diffusion technologique) et de complémentarités entre les biens et les intrants que les acteurs privés ne prenaient pas en compte. D’autres arguments tiennent au fait que le laisser-faire conduit à une concurrence insuffisante qui réduit l’innovation et le bien-être et fait perdurer les défaillances de marché notamment celui du financement. Ces justifications de l’intervention publique ont été progressivement remises en cause par l’idée que les aides et faveurs que l’Etat alloue de manière discrétionnaire réduisent la concurrence et instaurent des pratiques de capture de rente et de corruption néfastes pour la croissance.
Récemment de nouveaux arguments ont amené à une reconsidération des marges de manœuvre disponibles pour soutenir un processus de développement durable. En ce qui concerne le rôle de l’Etat, plusieurs éléments permettent d’envisager un rôle positif de l’intervention publique notamment depuis le déclenchement de la crise internationale en 2008.
Premièrement, le sentiment général est que cette crise signe l’échec des politiques de laisser-faire orthodoxe. Cette interprétation est renforcée par l’observation que les politiques industrielles actives menées parallèlement dans de nombreux pays en développement, au premier rang desquels la Chine, leur ont permis de connaître une émergence rapide et même de mieux résister à la crise. La CIA, Agence centrale de renseignement américaine, a fait référence à la politique industrielle comme la nouvelle arme secrète de la Chine. De même, les pays comme l’Allemagne et le Japon seraient parvenus à mieux résister et même à profiter des mouvements de délocalisation grâce à des politiques de soutien à l’industrie. D’ailleurs, l’ensemble des treize cas de croissance soutenue que la Commission on Growth and Development (2008) a identifié depuis 1950[1] ont mené des politiques industrielles actives.
Deuxièmement, les défis environnementaux font prendre conscience que la lutte contre le réchauffement climatique et la pollution ne peut se faire sans l'intervention gouvernementale visant à encourager la production propre et l'innovation verte.
Les débats sur la politique industrielle ont donc évolué : on ne questionne plus la nécessité des politiques sectorielles mais la manière d’améliorer leur impact en les évaluant et en réfléchissant sur leur contenu. Une première catégorie de contributions met l’accent sur la manière dont la promotion sectorielle est menée et notamment la nécessité de préserver la concurrence. Une deuxième catégorie de travaux porte sur le ciblage sectoriel des politiques. Les premiers résultats sont en faveur d’un protectionnisme concentré sur les secteurs intensifs en compétences ou à haute technologie. De manière plus intéressante, des travaux plus récents (Cai et al., 2011) plaident quant à eux en faveur de la prise en compte des avantages comparatifs latents. Ils montrent que la Chine a maximisé l’efficacité de son système de protection en ciblant les secteurs fortement exportateurs et intensifs en main d’œuvre non qualifiée. L’arme secrète de la Chine a donc consisté à détourner les ressources des secteurs intensifs en R&D et en personnels qualifiés vers les secteurs intensifs en main d’œuvre non qualifiée !
[1] Il s’agit du Botswana, Brésil, Chine, Hong Kong, Indonésie, Japon, Corée du Sud, Malaisie, Malte, Oman, Singapour, Taiwan et Thaïlande.
Référence :
Cai Jing, Ann Harrison, and Justin Lin, 2011, The Pattern of Protection and Economic Growth: Evidence from Chinese Cities, mimeo.
Le ralentissement de l’Amérique latine dans les années 1970 et celui du Japon dans les années 1990 ont conduit à une remise en cause du rôle de la politique industrielle dans le processus de développement économique. Sur le front empirique, de nombreux travaux suggèrent que les secteurs n’ayant pas bénéficié de protection ont connu une croissance de la productivité plus rapide que les secteurs protégés. Les interventions publiques n’auraient globalement qu’un impact limité et en outre fortement contraint par l’essor des réseaux internationaux de production et les entreprises transnationales. Sur le front théorique, les justifications traditionnelles de l’intervention de l’Etat reposent sur l’existence d’externalités (effets d’agglomération, diffusion technologique) et de complémentarités entre les biens et les intrants que les acteurs privés ne prenaient pas en compte. D’autres arguments tiennent au fait que le laisser-faire conduit à une concurrence insuffisante qui réduit l’innovation et le bien-être et fait perdurer les défaillances de marché notamment celui du financement. Ces justifications de l’intervention publique ont été progressivement remises en cause par l’idée que les aides et faveurs que l’Etat alloue de manière discrétionnaire réduisent la concurrence et instaurent des pratiques de capture de rente et de corruption néfastes pour la croissance.
Récemment de nouveaux arguments ont amené à une reconsidération des marges de manœuvre disponibles pour soutenir un processus de développement durable. En ce qui concerne le rôle de l’Etat, plusieurs éléments permettent d’envisager un rôle positif de l’intervention publique notamment depuis le déclenchement de la crise internationale en 2008.
Premièrement, le sentiment général est que cette crise signe l’échec des politiques de laisser-faire orthodoxe. Cette interprétation est renforcée par l’observation que les politiques industrielles actives menées parallèlement dans de nombreux pays en développement, au premier rang desquels la Chine, leur ont permis de connaître une émergence rapide et même de mieux résister à la crise. La CIA, Agence centrale de renseignement américaine, a fait référence à la politique industrielle comme la nouvelle arme secrète de la Chine. De même, les pays comme l’Allemagne et le Japon seraient parvenus à mieux résister et même à profiter des mouvements de délocalisation grâce à des politiques de soutien à l’industrie. D’ailleurs, l’ensemble des treize cas de croissance soutenue que la Commission on Growth and Development (2008) a identifié depuis 1950[1] ont mené des politiques industrielles actives.
Deuxièmement, les défis environnementaux font prendre conscience que la lutte contre le réchauffement climatique et la pollution ne peut se faire sans l'intervention gouvernementale visant à encourager la production propre et l'innovation verte.
Les débats sur la politique industrielle ont donc évolué : on ne questionne plus la nécessité des politiques sectorielles mais la manière d’améliorer leur impact en les évaluant et en réfléchissant sur leur contenu. Une première catégorie de contributions met l’accent sur la manière dont la promotion sectorielle est menée et notamment la nécessité de préserver la concurrence. Une deuxième catégorie de travaux porte sur le ciblage sectoriel des politiques. Les premiers résultats sont en faveur d’un protectionnisme concentré sur les secteurs intensifs en compétences ou à haute technologie. De manière plus intéressante, des travaux plus récents (Cai et al., 2011) plaident quant à eux en faveur de la prise en compte des avantages comparatifs latents. Ils montrent que la Chine a maximisé l’efficacité de son système de protection en ciblant les secteurs fortement exportateurs et intensifs en main d’œuvre non qualifiée. L’arme secrète de la Chine a donc consisté à détourner les ressources des secteurs intensifs en R&D et en personnels qualifiés vers les secteurs intensifs en main d’œuvre non qualifiée !
[1] Il s’agit du Botswana, Brésil, Chine, Hong Kong, Indonésie, Japon, Corée du Sud, Malaisie, Malte, Oman, Singapour, Taiwan et Thaïlande.
Référence :
Cai Jing, Ann Harrison, and Justin Lin, 2011, The Pattern of Protection and Economic Growth: Evidence from Chinese Cities, mimeo.
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