Pour une refondation de la politique migratoire française
A la sortie d’une période électorale intense, la question de la « bonne » politique d’immigration s’est retrouvée sur le devant de la scène à côté de celles portant sur la place de la France dans l’Europe ou de la réforme de la fiscalité.
Par Xavier Chojnicki, Lionel Ragot
Billet du 18 juin 2012
Dans le contexte de crise économique que traverse notre pays, qui se manifeste par des déficits publics abyssaux et une remontée du chômage à des taux que l’on pensait définitivement derrière nous depuis dix ans, l’immigration a souvent été pointée du doigt comme l’un des facteurs ayant contribué à accroître les effets négatifs de cette crise. La réduire est donc apparu dans les débats comme une nécessité de « bon sens ». Et pourtant, cet argument d’un besoin impérieux de réduire les flux migratoires repose assez largement sur une erreur de diagnostic.
L’idée même d’une France confrontée à une véritable vague d’immigration légale massive est assez largement battue en brèche à la lumière des statistiques migratoires. Depuis le début du XXIème siècle, la France accueille chaque année l’équivalent de 200 000 migrants. Est-ce beaucoup ? Pour certains, 200 000 personnes de plus chaque année est clairement excessif, en atteste le durcissement de la politique migratoire qu’a connu notre pays lors des derniers mois. Ce chiffre représente ainsi à la fois l’équivalent d’une ville française de taille moyenne, Rennes par exemple comme aimait à le souligner il y a peu l’ancien ministre de l’intérieur Claude Guéant, mais c’est aussi seulement 3,1 pour mille de la population totale (soit 0,31%). Avec un tel taux d’immigration, la France se révèle être l’un des pays les plus fermés parmi ceux de l’OCDE ; seul le Japon, réputé pour être quasi hermétique, a un taux plus faible.
Cela dit, si le taux d’immigration demeure relativement faible, c’est le solde migratoire - celui-ci pouvant se définir comme la différence annuelle entre les entrées et les sorties du territoire - qui compte le plus pour évaluer l’effet de l’immigration sur l’effectif de la population. Il nous enseigne que, face aux 200 000 entrées, on trouve un nombre conséquent de sorties de Français, mais surtout d’étrangers qui repartent. En 2010, le solde migratoire se situe aux environs de 75 000 personnes. En termes relatifs, ce solde était donc de 1,2 pour mille, c’est à dire environ deux fois moins que celui observé au cours des années 1960 dans notre pays et d’un niveau incomparable aux sommets atteints par certains de nos voisins tels que l’Allemagne (10 pour mille au début des années 90), le Royaume-Uni ou les États-Unis (5 pour mille) et sans aucune commune mesure avec les taux espagnols du début des années 2000 (15 pour mille entre 2002 et 2007). On se trouve bien loin de l’image d’une invasion migratoire.
Sur cette base et de manière peu surprenante, la contribution de l’immigration à l’évolution de la population française demeure relativement modérée, même si elle est loin d’être négligeable, à la différence de nombre de nos voisins. En effet, en 2010, le solde migratoire était environ trois fois et demi inférieur au solde naturel, c’est-à-dire la différence entre les naissances et les décès (en proportion de la population totale). Ainsi, la contribution de l’immigration à l’accroissement de la population n’aurait été que de 20% (les 80% restants s’expliquant donc par la vigueur de la natalité française), alors que l’immigration a contribué dans le même temps à hauteur de 60% à l’accroissement de la population européenne. La virulence récente du « débat » sur l’immigration semble bien éloignée des réalités chiffrées.
Avec de tels flux migratoires, il ne faut pas attendre d’effets démesurés de l’immigration sur l’économie française. Il est à présent couramment démontré [1] et admis que l’immigration n’a qu’un effet très modéré sur le marché du travail, que ce soit en matière de salaires ou de chômage. Ainsi, l’arrivée de nouveaux immigrés ne se traduit pas par un partage du travail entre autochtones et immigrés, comme on partagerait un gâteau en parts d’autant plus petites que le nombre de convives est grand. La concurrence sur le marché du travail s’exerce davantage entre anciennes et nouvelles vagues de migrants qu’entre migrants et natifs. L’immigration n’est pas plus responsable de l’état délabré de nos finances publiques. Le regroupement des immigrés dans les tranches d’âge active (55% des immigrés ont entre 25 et 55 ans contre 40% dans la population totale) est même plutôt une aubaine en la matière, à l’heure où la France a amorcé le virage d’une nouvelle transition démographique. Ce n’est donc pas un quelconque durcissement de la politique migratoire qui permettra de résorber nos problèmes de déficits budgétaires ou de montée du chômage. A contrario, une politique migratoire plus ambitieuse ne saurait nullement être utilisée comme levier d’action face au défi découlant du vieillissement de notre population : les ordres de grandeurs sont incomparables. Elle ne pourrait pas non plus combler les pénuries potentielles de main-d’œuvre sur le marché du travail lorsque les générations nombreuses du baby-boom auront fini de quitter celui-ci : la vigueur de la natalité française limite grandement ce phénomène.
Cela n’empêche pas pour autant, à présent que la page des élections est tournée, de revenir à un débat dépassionné sur la question de la définition d’une politique migratoire plus efficace qui réponde aux besoins de la France. Ce débat ne pourra avoir lieu qu’une fois qu’auront été tirées les leçons des exemples de politiques en vigueur dans certains pays Européens, au Canada ou aux Etats-Unis, mais aussi des échecs de l’expérience française récente cherchant à combiner de manière maladroite la politique migratoire sélective (immigration « choisie ») avec la stigmatisation de toutes les autres formes d’immigration (immigration « subie »). Ce débat ne pourra s’extraire d’une remise à plat des statuts existants, découlant de la multiplicité des titres de séjours, d’une coordination des politiques migratoires avec nos partenaires européens et d’une désintrumentalisation de l’immigration du travail, par exemple par la création d’un organe de discussion indépendant du parlement. Sans oublier par ailleurs que l’intégration républicaine, ayant permis à des générations d’immigrés de se fondre dans le creuset français, rencontre aujourd’hui de réelles difficultés qui ne doivent pas être occultées. Pour conclure, il semblerait donc que ce soit tout autant sur le front de l’immigration que sur celui de son intégration que se situe finalement le véritable défi.
L’idée même d’une France confrontée à une véritable vague d’immigration légale massive est assez largement battue en brèche à la lumière des statistiques migratoires. Depuis le début du XXIème siècle, la France accueille chaque année l’équivalent de 200 000 migrants. Est-ce beaucoup ? Pour certains, 200 000 personnes de plus chaque année est clairement excessif, en atteste le durcissement de la politique migratoire qu’a connu notre pays lors des derniers mois. Ce chiffre représente ainsi à la fois l’équivalent d’une ville française de taille moyenne, Rennes par exemple comme aimait à le souligner il y a peu l’ancien ministre de l’intérieur Claude Guéant, mais c’est aussi seulement 3,1 pour mille de la population totale (soit 0,31%). Avec un tel taux d’immigration, la France se révèle être l’un des pays les plus fermés parmi ceux de l’OCDE ; seul le Japon, réputé pour être quasi hermétique, a un taux plus faible.
Cela dit, si le taux d’immigration demeure relativement faible, c’est le solde migratoire - celui-ci pouvant se définir comme la différence annuelle entre les entrées et les sorties du territoire - qui compte le plus pour évaluer l’effet de l’immigration sur l’effectif de la population. Il nous enseigne que, face aux 200 000 entrées, on trouve un nombre conséquent de sorties de Français, mais surtout d’étrangers qui repartent. En 2010, le solde migratoire se situe aux environs de 75 000 personnes. En termes relatifs, ce solde était donc de 1,2 pour mille, c’est à dire environ deux fois moins que celui observé au cours des années 1960 dans notre pays et d’un niveau incomparable aux sommets atteints par certains de nos voisins tels que l’Allemagne (10 pour mille au début des années 90), le Royaume-Uni ou les États-Unis (5 pour mille) et sans aucune commune mesure avec les taux espagnols du début des années 2000 (15 pour mille entre 2002 et 2007). On se trouve bien loin de l’image d’une invasion migratoire.
Sur cette base et de manière peu surprenante, la contribution de l’immigration à l’évolution de la population française demeure relativement modérée, même si elle est loin d’être négligeable, à la différence de nombre de nos voisins. En effet, en 2010, le solde migratoire était environ trois fois et demi inférieur au solde naturel, c’est-à-dire la différence entre les naissances et les décès (en proportion de la population totale). Ainsi, la contribution de l’immigration à l’accroissement de la population n’aurait été que de 20% (les 80% restants s’expliquant donc par la vigueur de la natalité française), alors que l’immigration a contribué dans le même temps à hauteur de 60% à l’accroissement de la population européenne. La virulence récente du « débat » sur l’immigration semble bien éloignée des réalités chiffrées.
Avec de tels flux migratoires, il ne faut pas attendre d’effets démesurés de l’immigration sur l’économie française. Il est à présent couramment démontré [1] et admis que l’immigration n’a qu’un effet très modéré sur le marché du travail, que ce soit en matière de salaires ou de chômage. Ainsi, l’arrivée de nouveaux immigrés ne se traduit pas par un partage du travail entre autochtones et immigrés, comme on partagerait un gâteau en parts d’autant plus petites que le nombre de convives est grand. La concurrence sur le marché du travail s’exerce davantage entre anciennes et nouvelles vagues de migrants qu’entre migrants et natifs. L’immigration n’est pas plus responsable de l’état délabré de nos finances publiques. Le regroupement des immigrés dans les tranches d’âge active (55% des immigrés ont entre 25 et 55 ans contre 40% dans la population totale) est même plutôt une aubaine en la matière, à l’heure où la France a amorcé le virage d’une nouvelle transition démographique. Ce n’est donc pas un quelconque durcissement de la politique migratoire qui permettra de résorber nos problèmes de déficits budgétaires ou de montée du chômage. A contrario, une politique migratoire plus ambitieuse ne saurait nullement être utilisée comme levier d’action face au défi découlant du vieillissement de notre population : les ordres de grandeurs sont incomparables. Elle ne pourrait pas non plus combler les pénuries potentielles de main-d’œuvre sur le marché du travail lorsque les générations nombreuses du baby-boom auront fini de quitter celui-ci : la vigueur de la natalité française limite grandement ce phénomène.
Cela n’empêche pas pour autant, à présent que la page des élections est tournée, de revenir à un débat dépassionné sur la question de la définition d’une politique migratoire plus efficace qui réponde aux besoins de la France. Ce débat ne pourra avoir lieu qu’une fois qu’auront été tirées les leçons des exemples de politiques en vigueur dans certains pays Européens, au Canada ou aux Etats-Unis, mais aussi des échecs de l’expérience française récente cherchant à combiner de manière maladroite la politique migratoire sélective (immigration « choisie ») avec la stigmatisation de toutes les autres formes d’immigration (immigration « subie »). Ce débat ne pourra s’extraire d’une remise à plat des statuts existants, découlant de la multiplicité des titres de séjours, d’une coordination des politiques migratoires avec nos partenaires européens et d’une désintrumentalisation de l’immigration du travail, par exemple par la création d’un organe de discussion indépendant du parlement. Sans oublier par ailleurs que l’intégration républicaine, ayant permis à des générations d’immigrés de se fondre dans le creuset français, rencontre aujourd’hui de réelles difficultés qui ne doivent pas être occultées. Pour conclure, il semblerait donc que ce soit tout autant sur le front de l’immigration que sur celui de son intégration que se situe finalement le véritable défi.
[1] Voir Chojnicki et Ragot [2012], « On entend dire que … L’immigration coûte cher à la France, qu’en pensent les économistes ? », Editions Eyrolles-Les Echos.
Retrouvez plus d'information sur le blog du CEPII. © CEPII, Reproduction strictement interdite. Le blog du CEPII, ISSN: 2270-2571 |
|||
|