CEPII, Recherche et Expertise sur l'economie mondiale
Désindustrialisation (accélérée) : le rôle des politiques macroéconomiques


François Geerolf
Thomas Grjebine

La crise du Covid-19 a mis en lumière la dépendance de la France aux importations et à la production industrielle étrangère, notamment pour les médicaments, les tests, les masques ou les respirateurs. Le problème n’est pas, d’un point de vue économique, que la France ne produise pas des biens à faible valeur ajoutée comme les masques, dans lesquels elle n’a pas intérêt à se spécialiser. Le problème n’est pas non plus réductible au fonctionnement des chaînes de valeur mondiales qui impliquent un processus de production fragmenté au niveau international. Ce que révèle plutôt au grand jour cette crise, c’est la désindustrialisation accélérée que connaît la France depuis vingt ans et ses déséquilibres commerciaux persistants.

Pourtant, pour beaucoup d’économistes, la taille du secteur industriel et les déficits commerciaux ne sont pas des problèmes en soi. Ils s’accordent généralement pour critiquer le « fétichisme industriel » des politiques qu’ils attribuent à un colbertisme d’un autre temps, voire à de vieux restes de mercantilisme. Les économistes néoclassiques considèrent ainsi les déficits extérieurs plutôt comme une opportunité, en ce qu’ils permettent à un pays de consommer plus que ce qu’il produit, et d’investir au-delà de son épargne nationale. Les néokeynésiens, quant à eux, sont d’avis que les déséquilibres extérieurs ne peuvent être un problème qu’à très court terme lié à un ajustement insuffisant des prix et des salaires.

Mais ces analyses négligent le fait que déficits extérieurs persistants et désindustrialisation accélérée sont intimement liés. Surtout, elles reposent sur des modèles théoriques largement invalidés empiriquement. Contrairement à ce que supposent ces modèles, les politiques macroéconomiques ont des effets importants à long terme sur les déficits commerciaux et la compétitivité industrielle, non pas en raison d’un ajustement insuffisant des salaires, mais du fait des conséquences de ces politiques sur la demande agrégée. C’est ainsi que les politiques de compression de la demande menées en Allemagne depuis vingt ans permettent d’expliquer largement ses surplus commerciaux et son succès industriel. Dans un contexte post-Covid-19, le dilemme de John Maynard Keynes et le caractère mercantiliste de certaines de ses analyses sont plus que jamais d’actualité : les politiques de relance, bien que souhaitables, ne sont pas sans conséquence sur le solde commercial et la compétitivité industrielle.

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 L'économie mondiale 2021
La Découverte, 2020
pp.41-54

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