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Comment faire pression sur Recep Tayyip Erdogan : des sanctions économiques seraient risquées

Un échec de la mise en place de sanctions renforcerait le pouvoir en place, le pousserait à se rapprocher du bloc eurasiatique et pourrait déclencher une crise économique non circonscrite à l'économie turque. Interview à La Croix du 10 octobre 2019.
Par Deniz Ünal
 Billet du 25 octobre 2019


Pour avoir une idée de la fragilité de l’économie turque, il importe de se souvenir de ce qui s’est produit en août 2018. À l’époque, il a suffi d’un tweet de Donald Trump menaçant la Turquie d’appliquer des surtaxes à l’acier et l’aluminium importé aux États-Unis, pour provoquer une dépréciation brutale de la monnaie turque et une poussée d’inflation qui a grimpé jusqu’à 20 %.

La menace américaine a en effet créé une inquiétude sur le financement de la dette privée. La Turquie est très dépendante de financements extérieurs, alors qu’elle n’a pas de ressources naturelles. Or une bonne partie de sa dette est à court terme. Le tweet de Trump a aussitôt fait augmenter le coût des primes d’assurance sur les emprunts (les CDS, crédit default swap). Ce type de mécanisme fait que la dette de la Turquie, qui n’est pas si importante, peut rapidement se transformer en un gouffre. Et cette crise financière peut ensuite entraîner une crise macroéconomique systémique.

L’économie turque traverse donc une période de fragilité, sa croissance qui s’appuie sur la consommation intérieure, les exportations et les investissements publics est alimentée par le financement extérieur. Elle est entrée en récession au dernier trimestre 2018 et ses perspectives en 2019 sont très incertaines. Le président américain a raison, en un sens, quand il se vante de pouvoir l’« anéantir » et de l’avoir déjà fait… Mais il est difficile de frapper la Turquie sans déstabiliser en même temps l’ensemble du continent européen, voire de déclencher une crise globale.

La Turquie exporte peu vers les États-Unis (5 % de ses exportations sur janvier-août 2019) mais beaucoup vers l’UE (49%) qui est aussi à l’origine de plus de 70 % des investissements directs étrangers sur son sol. En 2018, on a vu que les banques italiennes et françaises qui ont prêté au secteur privé turc étaient directement affectées par la chute de la livre. La Turquie est une économie émergente qui pèse lourd, et qui est très intégrée à l’espace européen.

C’est aussi un pays qui a des relations étroites avec la Russie, notamment pour ce qui concerne l’énergie. Elle est sur le couloir d’exportation du gaz russe. La Russie y construit une centrale nucléaire. La Turquie se tourne aussi de plus en plus vers la Chine pour ses financements. C’est un pays qui est sur le flanc est de l’Otan, mais à la charnière de l’occident et de l’Eurasie. Il est donc aussi risqué de pousser ce pays vers le bloc eurasiatique, alors qu’elle a déjà tendance à s’écarter de l’axe atlantique.



https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Deniz-Unal-sanctions-economiques-seraient-risquees-2019-10-10-1201053405
Economies émergentes 
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