Le blog du CEPII

La Chine ne pourra pas achever l’internationalisation de sa monnaie sans la rendre totalement convertible

La Bank of China propose désormais à ses clients en France d’ouvrir un compte en Renminbi, la monnaie chinoise. Il s’agit d’une avancée certes modeste mais symbolique des grandes manœuvres qui se déroulent depuis deux ans autour de la monnaie de la seconde économie mondiale.
Par Christophe Destais
 Billet du 2 juillet 2012


Comme tous les pays communistes, la Chine n’avait pas réellement de monnaie ou de système financier avant que ne s’engagent les réformes. Alors que ces réformes ont d’emblée été axées sur le développement des exportations, les procédures administratives d’allocation aux entreprises des ressources en devises (rares à l’époque) ont vite trouvé leurs limites. Au début des années 90, les autorités chinoises ont donc engagé un processus de libéralisation des « transactions courantes » (importations, exportations, service de la dette, versement des dividendes). Dans un premier temps, des centres de swaps ont été organisés où les entreprises excédentaires en devises pouvaient les échanger contre celles qui souhaitaient importer. Très vite cependant, ce système a été abandonné au profit d’une libéralisation totale des opérations courantes, officialisée en 1996. Auparavant, à la fin de 1993, les autorités chinoises avaient annoncé que leur objectif était de laisser fluctuer le taux de change et de rendre convertible de Renminbi.

Près de vingt ans plus tard, on est loin d’avoir atteint les objectifs de 1993. D’abord, les crises financières dans les pays émergents à la fin des années 90 et au début des années 2000, ont montré à quel point les pays qui avaient aboli toutes les restrictions aux flux de capitaux étaient devenus vulnérables. Dans les années 2000, les autorités chinoises ont maintenu un contrôle le plus étroit possible sur ces flux et sur le taux de change qu’elles ont laissé s’apprécier de manière très contrôlée, d’abord entre juillet 2005 et aout 2008, puis depuis juin 2010. La combinaison de l’immense succès des produits fabriqués ou assemblés en Chine et du maintien de ces règles a conduit à une accumulation sans précédent de réserves de changes qui avoisinent aujourd’hui les 3500 milliards de dollars et à des affrontements répétés, notamment avec les Etats-Unis, sur le thème de la « manipulation» du taux de change.

La crise financière de 2008 a marqué un nouveau tournant. Dans un premier temps, le gouverneur de la banque centrale chinoise a tenté de ressusciter les Droits de Tirages Spéciaux (DTS), un actif de réserve international créé à la fin des années 60 dans le cadre du FMI mais dont l’usage reste très limité. Cette proposition n’a pas rencontré d’écho et les autorités chinoises ont mis en œuvre une politique purement nationale d’internationalisation du Renminbi, selon des modalités néanmoins très inhabituelles. D’ordinaire, la première étape est de supprimer les contrôles de capitaux, c'est-à-dire les restrictions réglementaires à la détention d’actifs monétaires ou financiers libellés dans la monnaie du pays par des non-résidents ou libellés en devises par les résidents.

La Chine au contraire a choisi de maintenir l’essentiel de ces restrictions et de définir une politique d’internationalisation de sa monnaie par trois séries de dérogations à ces règles :
 
1. Un nouvel actif monétaire a été créé à Hong-Kong, le Renminbi offshore. Cet actif existait de facto depuis le milieu des années 2000 mais un accord de juillet 2010 entre la banque centrale chinoise, la PBOC, et l’autorité monétaire de Hong Kong lui donne une existence officielle. Surtout, cet accord prévoit la mise en place d’un lien organique entre ce marché offshore et le marché onshore. Ce lien passe par la filiale hongkongaise de la Bank of China (BOCHK), une banque publique commerciale chinoise, qui assure la compensation des opérations en RMB offshore à Hong Kong mais surtout la liquidité de ce marché grâce à un lien organique entre le RMB offshore et le RMB onshore qui passe par le canal d’un compte ouvert par la BOCHK auprès de la succursale de la PBOC à Shenzhen (et peut-être des liens directs avec les banques de Chine continentale). La possibilité ainsi offerte d’ouvrir des comptes en RMB à Hong-Kong a suscité un engouement des déposants entre juillet 2010 et novembre 2011. Depuis la fin de l’année dernière, le volume des dépôts tend à diminuer légèrement. 

2. Les entreprises chinoises ont désormais la faculté de réaliser la quasi-totalité de leurs transactions commerciales en RMB à Hong-Kong.

3. La PBOC a signé une quinzaine d’accords de swap de réserves de change avec des banques centrales d’Asie et d’Amérique Latine. La justification officielle de ces accords est laconique et leur contenu effectif reste secret. Il semble que, pour le moment, ils restent avant tout symboliques puisque les réserves en RMB détenues par les banques centrales ne sont pas mobilisables pour assurer des opérations de paiement ou pour défendre leur monnaie puisque le RMB n’est pas convertible. L’accord avec le Japon va plus loin. Il prévoit notamment que la banque centrale japonaise puisse acheter d’autres actifs en RMB et la cotation d’un taux de change bilatéral.
 
Cette politique est manifestement  inspirée par un pragmatisme à la fois audacieux et prudent. C’est l’idée qu’il faut traverser une rivière en appréciant la stabilité de chaque rocher sur lequel on s’appuie, chère à Deng Xiaoping. Son originalité suscite plusieurs interprétations.
 
La première pourrait être que son objectif est essentiellement technique. Il s’agirait de faciliter les relations commerciales en RMB entre les entreprises chinoises et leurs clients ou fournisseurs étrangers. La plate forme offshore de Hong Kong et, sans doute à terme, les swaps de devises y contribueraient. Cette stratégie serait orientée de manière privilégiée vers les pays d’Asie. Pour le moment, cette démarche se heurte à une difficulté liée à la surévaluation du RMB. Celle-ci est une incitation à détenir des actifs libellés dans cette monnaie mais pas à s’y endetter. Il en résulte un écart entre l’important passif en RMB des banques de Hong Kong alors qu’elles peinent à allouer ces ressources à des emplois libellés dans la même monnaie (crédits et obligations « dim sum »). Cela aboutit à ce que les banques de Hong Kong drainent des RMB vers la Chine continentale via la BOCHK et la PBOC Shenzhen, ce qui constitue une interférence avec la politique monétaire de la PBOC qui doit en stériliser tout ou partie. Toutefois, la tendance récente à la stabilisation du taux de change RMB/USD laisse penser que le niveau de surévaluation de la monnaie chinoise est désormais réduit et que les investisseurs présents à Hong Kong ont moins d’incitations à en détenir pour des motifs spéculatifs, ce qui devrait contribuer à résorber l’écart entre actif et passif en RMB des banques de Hong Kong. On peut aussi s’interroger sur la capacité qu’aurait le secteur financier de Hong Kong à soutenir un encours en RMB important au regard de sa taille mais ce problème pourrait être atténué si le taux de change du HK dollar n’est plus fixe au regard du dollar US, comme c’est le cas depuis 1983, mais vis-à-vis du RMB.
 
Une autre interprétation, non exclusive de la précédente, serait que la Chine a l’ambition de développer une devise réellement internationale qui concurrence le dollar comme monnaie de transaction, de mesure et de réserve de valeur dans le monde. Notre analyse conduit à penser que les mesures prises jusqu’à maintenant ne sauraient y suffire et que la Chine ne pourra vraiment internationaliser sa monnaie qu’en la rendant totalement convertible. Le débat sur la possibilité d’internationaliser une monnaie sans la rendre convertible existe mais les arguments en faveur de cette thèse sont peu convaincants : ils se réfèrent principalement au fait que lorsque l’accumulation de dollar offshore (les « Eurodollars ») a commencé à la fin des années 50, c’était précisément pour échapper à des restrictions à la libre convertibilité de la monnaie. Cet argument a une portée limitée dans la mesure où, à cette époque, le dollar restait la monnaie dont l’utilisation par les non-résidents restait la plus aisée. Comme le souligne Genberg (2009), la devise pour laquelle les coûts de transaction sont les plus faibles sera toujours favorisée. Il faudrait donc que la Chine lève complètement ou presque complètement les restrictions à la libre convertibilité du RMB.  A son tour, cette ambition supposerait la réalisation d’une réforme financière assez profonde et dont les contours restent à définir, pour mettre les institutions financières chinoises en mesure de supporter la concurrence internationale. Or, une coalition s’oppose à cette réforme financière qui toucherait à leurs intérêts : les entreprises exportatrices, les entreprises publiques ou les collectivité territoriales ne souhaitent pas perdre l’accès privilégié au crédit dont elles bénéficient tandis que le secteur bancaire lui-même ne souhaite pas être exposé à une concurrence étrangère alors que la déréglementation lui ferait perdre des marges confortables.
 
Au total, il est probable que les autorités chinoises ont engagé à court terme une démarche avant tout pragmatique, visant à réduire le risque de change auquel sont exposées les entreprises chinoises pour leurs opérations commerciales et, elles-mêmes, sur les réserves de change qu’elles ont accumulé. Le pragmatisme n’exclut par ailleurs pas une démarche de nature plus culturelle qui vise à habituer les agents économiques dans le monde à utiliser le RMB en leur proposant notamment d’ouvrir des comptes libellés dans cette monnaie même si la Chine n’a, pour le moment, pas vraiment besoin de cet argent.


Référence :

Genberg, H., (2009) Currency internationalization: Analytical and Policy Issues, Hong Kong Institute for Monetary Research - Working Paper No.31/2009, October 2009
Economies émergentes  | Monnaie & Finance 
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