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Comment financer les politiques climatiques en Amérique latine et dans les Caraïbes ?

Pour remédier aux effets du changement climatique dans cette région particulièrement vulnérable sur les plans économique et climatique, les financements multilatéraux devraient décupler par rapport à leurs niveaux de 2020, ce qui nécessite une coordination internationale efficace et le développement des instruments de financement innovants.
Par Florian Morvillier, Erica Perego, Fanny Schaeffer
 Billet du 15 janvier 2024


Le constat dressé lors de la COP28 à Dubaï est sans appel : l’Amérique latine et les Caraïbes font face à un important défaut de financement de l’action pour le climat. Pour remédier aux effets du changement climatique, les financements devraient en effet décupler par rapport à leurs niveaux de 2020.

Cela nécessite de développer davantage les instruments de financement innovants mis en place ces dernières années et de catalyser les financements pour le climat des principaux acteurs internationaux. C’est l’objet de la Coalition mondiale pour le renforcement des moyens d’action créée lors de la COP28.

Une région particulièrement vulnérable

Le nombre de catastrophes naturelles en Amérique latine et dans les Caraïbes a presque doublé entre les décennies 1980 et 2010, faisant de cette région la zone géographique la plus touchée au cours de la décennie écoulée. Depuis 2000, trois personnes sur dix ont été affectées par une catastrophe naturelle. En 2023, 91 % des citoyens de treize pays d’Amérique latine déclarent que le changement climatique a un impact sur leur vie quotidienne. Ces catastrophes naturelles peuvent entrainer des coûts économiques élevés. Par exemple, à la suite de l’ouragan Maria en 2017, la République dominicaine a subi des dommages estimés à 226 % de son produit intérieur brut : destruction des infrastructures (routes, ponts et réseaux d’électricité), destruction du capital physique et dégradation du capital humain.

Face à ces dégâts économiques, il est nécessaire d’améliorer la résilience de la zone par la mise en place de politiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Les premières ont pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre, avant que les effets du changement climatique ne soient irréversibles. Il s’agit, par exemple, d’installer des panneaux solaires sur les bâtiments afin d’améliorer leur efficacité énergétique.

Les politiques d’adaptation, quant à elles, visent à minimiser les conséquences du changement climatique déjà en cours. La mise en place de digues et de murs de protection contre les inondations obéit à cette logique. Les politiques d’adaptation et d’atténuation adéquates peuvent être très coûteuses : sur la période 2023-2030, les besoins d’investissement cumulés associés à la mise en place de ces politiques sont chiffrés entre 215 et 284 milliards de dollars par an pour l’Amérique latine et les Caraïbes.

Le financement de l’adaptation et de l’atténuation

Face à ce besoin de financement colossal, les États d’Amérique latine et des Caraïbes reçoivent des financements multilatéraux, de la part d’institutions régionales et internationales, spécialement conçus pour soutenir la mise en place de politiques d’atténuation et d’adaptation. Entre 2016 et 2021, le financement pour le climat accordé aux États de la zone a plus que triplé, passant de 2,7 milliards de dollars à 8,6 milliards de dollars (Graphique 1). S’il s’agit d’une augmentation significative, le montant atteint en 2021 ne correspond toutefois qu’à 4 % des besoins d’investissement de la région.

Cinq acteurs multilatéraux assurent l’essentiel du financement de l’action pour le climat dans la région : il s’agit de trois institutions régionales (la Banque interaméricaine de développement (BID), la Banque centraméricaine d’intégration économique (BCIE) et la Banque de développement d’Amérique latine et des Caraïbes (BDALC)), de la Banque mondiale (BM) et de la Banque européenne d’investissement (BEI). En 2021, 64 % des financements sont alloués par les institutions régionales (Graphique 2) et les deux tiers de l’ensemble des financements vont à des mesures d’atténuation (Graphique 3).

De nouveaux instruments financiers

Pour répondre aux forts besoins de financement de l’action pour le climat, les institutions multilatérales se sont appuyées sur des instruments innovants.

Émis pour la première fois par la BEI en 2007, les obligations vertes sont des titres de créance destinés à lever des capitaux pour le financement de projets « verts ». En 2022, 30 % du programme de financement de la BEI était ainsi constitué par l’émission d’obligations de sensibilisation au climat. Dans le cadre de l’Initiative Global Gateway de l’Union européenne, en 2023 la BEI a octroyé à l’Argentine, au Brésil et au Chili des prêts « verts » s’élevant à 800 millions d’euros.

La BEI n’est pas la seule institution multilatérale à utiliser cet instrument financier. Grâce à ces obligations vertes, la BDALC a ainsi levé 1,2 milliard de dollars entre 2018 et 2021 pour financer des projets visant à améliorer l’efficacité énergétique, à accroître la production d’énergies renouvelables et à verdir le système de transport de la région. La BID de son côté, grâce également à l’émission d’obligations vertes, a par exemple octroyé en 2023 un prêt de 400 millions de dollars au Chili pour aider au développement de l’industrie de l’hydrogène vert.

Les institutions recourent également à l’émission d’obligations bleues. Ce sont des instruments de dette émise par des gouvernements, des banques de développement ou d’autres entités pour financer des projets marins et océaniques ayant des retombées positives sur l’environnement, l’économie et le climat. Ainsi, la BID a procédé à la première émission d’obligation bleue en Amérique latine et dans les Caraïbes en 2021 pour un montant de 50 millions de dollars australiens.

Face à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes naturelles, les institutions internationales recourent également à des instruments de gestion du risque financier comme les obligations catastrophes.

Leur principe est simple. L’organisation qui émet l’obligation verse une prime aux investisseurs. Si aucune catastrophe naturelle ne se produit pendant la durée de l’obligation, les investisseurs reçoivent leur capital et les intérêts à la fin de la période. En revanche, si une catastrophe naturelle survient, l’organisation reçoit des investisseurs une partie ou la totalité du capital associé à l’obligation.

Afin d’améliorer la résilience financière des États contre le risque de catastrophe naturelle, la Banque mondiale procède ainsi à l’émission d’obligations catastrophes pour le compte des États. Elle a par exemple émis en 2020 de telles obligations pour le compte du Mexique pour un montant de 485 millions de dollars, le protégeant pendant 4 ans des pertes dues aux tremblements de terre et aux cyclones.

Un nouveau rôle pour le FMI

Alors que les institutions précédentes interviennent principalement ex ante, le Fonds monétaire international (FMI) joue un rôle crucial après qu’un pays a été frappé par une catastrophe naturelle pouvant déboucher sur une crise de balance des paiements. En complément des prêts conventionnels octroyés aux pays membres, le FMI a créé en 2015 le fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes qui accorde des dons et des allègements de dette aux pays les plus pauvres frappés par une catastrophe naturelle.

Vue du siège du FMI
En 2015, le FMI a créé le fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes qui accorde des dons et des allègements de dette aux pays les plus pauvres frappés par une catastrophe naturelle. Bruno Sanchez-Andrade Nuño/Flickr, CC BY-SA

En mai 2022, un nouveau fonds a vu le jour : le fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité du FMI, qui vise à aider les pays pauvres à faire face à des difficultés de long terme, comme le changement climatique. En décembre 2022, la Barbade a été le premier pays à bénéficier de ce nouveau fonds : 189 millions de dollars d’aide ont été débloqués.

Face aux défis climatiques auxquels font face les pays d’Amérique latine et des Caraïbes, une utilisation efficiente des ressources pour le financement des politiques climatiques est essentielle. C’est l’un des objectifs fixés par la Coalition mondiale pour le renforcement des moyens d’action, dont la création a été annoncée lors de la COP28 en décembre 2023. Cette coalition regroupe les principaux acteurs internationaux du financement pour le climat (ONU, BM, différentes banques multilatérales de développement, FMI, etc.) et vise à renforcer les capacités en matière de financement climatique et l’efficacité des programmes d’assistance technique des institutions financières domestiques et internationales.

La COP29, qui se tiendra en 2024 en Azerbaïdjan, sera l’occasion d’évaluer les premiers résultats de cette coalition, notamment sa capacité à catalyser des financements pour le climat à la hauteur des besoins de la région.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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