Le blog du CEPII

Le ralentissement des économies émergentes

Considérées il y a encore quelques mois comme le moteur de la croissance mondiale, les économies émergentes, qui subissent les effets du ralentissement de la demande mondiale, semblent être aujourd’hui en panne.
Par Maëlan Le Goff
 Billet du 3 septembre 2012


Ces dernières années, les pays émergents s’en sont, d’une manière générale, beaucoup mieux sortis que les pays développés, que ce soit en termes de croissance économique, d’endettement public, ou de balance commerciale. Ils ont également relativement bien résisté à la crise financière et économique historique de 2007-2008. Cependant, même si beaucoup de ces économies connaissent toujours des taux de croissance qui feraient pâlir d’envie beaucoup de pays développés, elles montrent aujourd’hui des signes d’essoufflement, rompant, au moins temporairement, avec les taux de croissance spectaculaires qu’elles affichaient ces dernières années. Globalement, la croissance du PIB des pays émergents et en développement devrait se situer autour de 5,6% en 2012, soit en net repli par rapport aux 6,2% de 2011 [1].
 
Des signes manifestes d’essoufflement apparaissent du côté de la croissance chinoise qui suscitent des doutes sur la capacité de cette dernière à résister à la dégradation de la conjoncture mondiale. En effet, la croissance chinoise est passée de 9,4% au premier semestre 2011 à 8,1% au premier semestre 2012. L’activité chinoise a continué sa décélération au second semestre avec un taux de croissance du PIB de 7,6% [2] (graphique 1). Ce ralentissement s’explique essentiellement par le dégonflement de la bulle immobilière (facilité par les mesures prises dès 2010 par le gouvernement central pour lutter contre l’inflation) et l’affaiblissement de la demande extérieure qui a freiné significativement les exportations chinoises [3]. C’est principalement à travers le canal du commerce extérieur que la contraction de l’économie chinoise se diffuse au reste de l’Asie. Prise globalement, la croissance des exportations asiatiques est passée de 25,1% au premier trimestre 2011 à 4,1% au premier trimestre de cette année [4].

Autre géant émergent d’Asie, l’Inde, ne semble pas être la « success story » attendue. Subissant les effets de la conjoncture mondiale défavorable et de son environnement institutionnel peu propice aux affaires, la croissance économique indienne est tombée à 5,3% au premier trimestre 2012, bien loin des 9% qu’elle avoisinait ces dernières années. L’Inde se trouve confrontée à un double déficit (budgétaire et des comptes courants), dont le financement devient d’autant plus problématique que depuis le dernier trimestre 2011, les investisseurs étrangers ont retiré massivement leurs capitaux. Etant donné la faiblesse de la roupie, les taux d’inflation toujours très élevés et l’importance du déficit, le gouvernement indien dispose de faibles marges de manœuvre pour relancer son économie. Il a alors décidé début 2012 de mettre en place des mesures d’austérité visant à réduire le poids des subventions dans le budget de l’Etat. Finalement, seule la consommation intérieure soutenue par l’émergence d’une classe moyenne devrait permettre à l’Asie de se maintenir à un taux de croissance relativement élevé en 2012 (6,9%), malgré un léger ralentissement par rapport à 2011.

En Amérique Latine, le ralentissement de la croissance économique amorcé mi-2011 s’est poursuivi jusqu’au premier semestre 2012. On prévoit un taux de croissance de 3,7% pour cette région en 2012, en légère baisse par rapport à 2011 (4,3%) [5]. Toutefois, bien que la mise en place de politiques monétaires et budgétaires plus restrictives a ralenti le rythme de la croissance intérieure, elle a aussi permis de limiter les risques de surchauffe qui pesaient sur la région ces dernières années. De plus, les cours élevés des matières premières favorisent les pays exportateurs et continuent de rendre la région très attractive pour les investissements étrangers (essentiellement orientés vers le secteur des ressources naturelles), ce qui devrait permettre à la croissance de la région de repartir au-dessus des 4% en 2013. Par ailleurs, le développ ement d’une classe moyenne a permis de soutenir la consommation intérieure en Amérique Latine, notamment au Brésil, suite à la forte progression des revenus des ménages. Le Brésil a tout de même subi les effets de la crise dans les pays développés et a vu son taux de croissance être divisé par deux entre 2010 et 2011 (passant de 7,5% à 3,4%). Le ralentissement de l’économie chinoise, premier partenaire commercial du Brésil depuis 2009, pourrait également ternir le tableau. Le gouvernement brésilien vient d’ailleurs de ramener ses prévisions de croissance pour 2012 de 4,5% à 3%.

Déstabilisée par une vague de troubles politiques et d’agitation sociale, la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MOAN) a connu un ralentissement significatif de son taux de croissance en 2011. L’instabilité politique qui continue de peser et la forte dépendance de la région à la situation économique en Europe (principalement à travers le prix du pétrole, les échanges commerciaux [6] et le tourisme) sont des facteurs de risque important quant à la reprise économique de la région. Selon les prévisions, la croissance économique dans cette région sera de 4,3% en 2012 et elle continuera de ralentir en 2013 avec un taux de 3,7% [7].

De leur côté, mise à part la Pologne, les pays émergents d’Europe subissent aussi de plein fouet les effets de la baisse de la demande de la zone euro, qui absorbe presque un tiers des exportations de la région, et de l’accès difficile au crédit. De plus, un durcissement de la situation économique en Europe de l’Ouest pourrait entrainer une pression à la baisse sur ces prix et affecter encore davantage la croissance de cette région. Bien que la Russie et les autres pays exportateurs de pétrole (Kazakhstan, Ouzbékistan, Azerbaïdjan et Turkménistan), devraient profiter des cours élevés du pétrole en 2012, la situation risque d’être beaucoup plus problématique pour les pays importateurs de produits énergétiques (tels que l’Ukraine et la Biélorussie). Globalement, on s’attend à ce que le taux de croissance des pays émergents d’Europe centrale et orientale passe de 5,3% en 2011 à 1,9% en 2012 [8].


Quelques économies épargnées mais qui restent vulnérables

En Amérique Latine, l’économie mexicaine semble échapper au ralentissement affectant la plupart des pays émergents (graphique 1). En effet, après avoir subi une grave récession en 2009 suite à la crise des subprimes, l’activité économique mexicaine a renoué avec un certain dynamisme en 2010. Malgré un léger ralentissement sur l’ensemble de l’année 2011, le redressement de l’économie américaine (qui absorbe 80% des exportations du Mexique) et le taux de change peso/dollar favorable ont permis une accélération de la croissance économique mexicaine au quatrième trimestre 2011. Cette tendance devrait se poursuivre en 2012, à condition que l’amélioration de la situation économique aux Etats-Unis se vérifie.
 
Les perspectives économiques pour l’Afrique (hors Maghreb et Afrique du Sud) sont également encourageantes. La croissance économique en Afrique sub-saharienne est restée forte en 2011 (4,9% et 5,9% en excluant l’Afrique du Sud [9]). De surcroît, grâce à l’intensification des flux d’investissement, à l’augmentation des dépenses de consommation et à la découverte de nouveaux gisements pétroliers dans certains pays (Niger, Cameroun) on s’attend à ce que la croissance de l’Afrique s’accélère en 2012. Ces prévisions pourraient toutefois être assombries par la baisse de la demande européenne pour les produits africains, les coupes dans les montants d’aide publique allouées par les pays européens, le ralentissement des devises envoyés par la diaspora ou encore la baisse de la fréquentation des touristes européens [10].
 

Graphique 1- Taux de croissance trimestriel du PIB de quelques pays émergents
 

Source: OCDE.


 

[1] FMI, Mise à jour des Perspectives de l’économie mondiale, juillet 2012.
 
[2] Statistiques de l’OCDE.
[3] Voir Françoise Lemoine, « La Chine en panne de moteur », le Blog du CEPII, le 20 juin 2012.
 
[4] OMC, Statistiques sur le commerce international (http://www.wto.org/english/res_e/statis_e/quarterly_world_exp_e.htm).
 
[5] The United Nations, World Economic Situation and Prospects, 2012. 
 
[6] Les exportations de marchandises vers l’Europe représentent 7% du PIB de la région.
 
[7] FMI, Mise à jour des Perspectives de l’économie mondiale, juillet 2012.
 
[8] FMI, Mise à jour des Perspectives de l’économie mondiale, juillet 2012.
 
[9] Banque mondiale, Perspectives économiques mondiales, 2012.
 
[10] Voir Maëlan Le Goff « Crise de la zone euro : quelles conséquences pour les économies africaines ? », Lettre du CEPII n°322, 26 juin 2012.

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